Adloun : une immense richesse archéologique à protéger

Patricia ANTAKI-MASSON | 29/02/2016

Patrimoine

Liban

Au-delà de la polémique sur la construction d'un port de plaisance à Adloun dont les répercussions s'annoncent catastrophiques sur divers plans, ce modeste bourg, qui ne paie pas de mine, recèle pourtant d'inestimables trésors archéologiques.

À mi-chemin entre Saïda et Tyr, la localité côtière de Adloun est perchée au haut d'une petite falaise de calcaire surplombant une plaine verdoyante de bananiers et d'agrumes de près de 800 m de large. Sur la route vers Tyr, on ne lui accorde même pas un regard, alors que son histoire et son archéologie sont des plus captivantes: des grottes habitées depuis la nuit des temps, une falaise truffée de tombes rupestres, un nom la désignant comme relais routier sous l'Empire romain, une plage qui révèle à chaque pas les traces d'un passé maritime et une ville jadis fortifiée qui fit la fierté de familles croisées.

100 000 ans d'occupation : le témoignage des grottes
Quatre grottes naturelles principales occupées durant la Préhistoire ont été identifiées dans la falaise. Deux d'entre elles, repérées à la fin du XIXe siècle et fouillées il y a quelques décennies, sont bien connues: l'abri Zumoffen, du nom du père jésuite pionnier de la Préhistoire libanaise qui l'a découverte, et à proximité, celle plus vaste, appelée Mgharet el-Bzez, la grotte des Mamelles, du nom d'une pratique cultuelle qui y avait cours avant la fouille. Occupées au Paléolithique, soit environ entre 100000 ans et 10000 ans avant notre ère, elles sont d'une importance majeure non seulement pour la connaissance de la Préhistoire libanaise, mais aussi pour celle de la Préhistoire proche-orientale. Elles ont en effet livré des outils de silex en abondance, rien moins que quelques centaines comprenant des nucleus, des galets aménagés, des bifaces, des racloirs, des grattoirs, des burins, des lames, des lamelles, des pointes, etc. que l'on peut admirer dans différents musées de Beyrouth. Des restes d'animaux chassés par l'homme y ont été également mis au jour, dont des gazelles, des daims, des aurochs, ancêtres des bovins domestiques, des hydrontins ou ânes européens (aujourd'hui disparus), et même des rhinocéros et des ours des cavernes.

Une falaise truffée de tombes
En longeant la falaise, on s'aperçoit par endroits que celle-ci est criblée de dizaines de cavités. Il s'agit de caveaux funéraires rupestres, ou hypogées. À l'intérieur, trois niches, généralement en forme d'arc, des arcosolia, creusées dans les parois, recevaient les corps des défunts. Pillées depuis longtemps, ces chambres sépulcrales n'ont jamais été fouillées. Aussi, les archéologues ont-ils du mal à leur attribuer une date: elles pourraient tout aussi bien être phéniciennes, grecques, romaines, ou même byzantines.

Un gîte d'étape romain : mutatio ad nonum
L'appellation Adloun dérive du nom latin Ad nonum. Celui-ci apparaît dans un célèbre texte antique nommé l'Itinéraire de Bordeaux. Rédigé par un pèlerin anonyme à l'époque romaine en 333, ce guide, à destination des voyageurs, recensait les stations de voyage reliant Bordeaux à Jérusalem. La mutatio ad nonum était le relais où l'on pouvait s'arrêter au sud de Sarafand, sur la voie entre Sidon et Tyr. Il se situait au neuvième mille romain (soit à environ quatorze kilomètres) à partir de Saïda, d'où son nom (nonum: neuf).
Par ailleurs, les chercheurs se demandent si Adloun ne correspondrait pas également à l'ancienne «ville des oiseaux», l'Ornithopolis de l'époque classique citée par un texte grec, le Pseudo-Scylax, et par deux auteurs latins, Strabon et Pline. Cette désignation serait une traduction de Bît-Supuri, la «maison de l'oiseau», nom d'une ville phénicienne qui figure dans les sources assyriennes. Mais à ce jour, cette identification ne demeure qu'une hypothèse.

Traces d'activités maritimes et artisanales sur la plage
Trois petites baies se succèdent sur la côte. Mal protégées des vents dominants du sud-ouest, elles n'ont pu servir de véritables ports, mais ont certainement joué le rôle de mouillages permettant l'accostage de petites embarcations. Une agréable promenade le long de la plage vous permettra de découvrir divers types d'aménagements taillés dans le rocher: des traces de carrières pour l'extraction de blocs de pierre, des cuvettes et des bassins ayant pu servir de viviers à poissons, des salines pour l'extraction du sel de mer, des rampes ayant servi à hisser de petites barques, des restes de pressoirs à huile, ou des puits et des citernes pour l'approvisionnement en eau douce. Difficiles à dater, ces vestiges n'en restent pas moins témoins d'activités de toutes sortes qui y furent pratiquées.
Quant au port que l'on projette de construire, même s'il n'englobe qu'une plage de sable située à proximité de ces vestiges, il est fort à craindre que ceux-ci ne finissent par se déteriorer du fait d'une fréquentation peu soucieuse de l'environnement.

Seigneurs et dames d'Adelon, ville croisée
Durant l'époque des Croisades, aux XIIe et XIIIe siècles, Adloun était un fief important qui dépendait de la seigneurie de Sagette (Saïda). Il était défendu par une forteresse, aujourd'hui disparue, dont rend compte le célèbre voyageur andalou al-Idrîsi. La famille franque qui y régnait se faisait appeler du nom de la ville. Ainsi on connaît plusieurs seigneurs et dames d'Adelon: Adam, fils de Hugues de Giblet (Jbeil), sa fille, Agnès, son époux, Thierri de Tenremonde, le fils de celui-ci, Daniel et son petit-fils Daniel II ainsi qu'un certain Pierre d'Avalon.

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