Nos pratiques et activités quotidiennes sur Internet se développent de plus en plus. Les échanges se multiplient en réseaux, sur les moteurs de recherche, les jeux en ligne, etc. Tout se fait principalement via Internet. Au fur et à mesure qu'on surfe sur le Net, et qu'on communique sur le Web, on laisse des traces, des infos personnelles, nos centres d'intérêts, nos relations, nos points de vue, nos activités: toutes ces données rassemblées, qui nous concernent et que l'on retrouve sur Internet, constituent notre identité numérique. Le portrait «digital» de chaque personne se dessine en fonction de ses relations virtuelles et de ses actions sur le Web: ce qu'il montre, ce qu'il cache, ce que les autres perçoivent de lui, et ce qui lui échappe.
«Les adolescents sont des jeunes en quête de leur propre identité, explique Rowena Ghoch, psychologue clinicienne. Ils cherchent surtout à se forger une identité différente des autres pour se démarquer et s'affirmer en tant qu'individus au-delà du cercle parental. La toile est donc l'espace idéal pour s'exprimer librement, appartenir à un groupe, et construire leur identité qui reflète leur image de soi, et leur "cyber-réputation". Leur besoin de se reconnaître à travers le regard de l'autre "virtuel", va alors renforcer leurs pratiques numériques qui accompagnent leur vie sociale: par leur publication de photos, vidéos, posts sur un blog, réseau social ou autre, leur "être" se dévoile et leur identité numérique se construit. Mais ils ne savent pas toujours, que bien qu'ils soient les producteurs de ce qu'ils postent, ils ne sont pas maîtres de leur identité numérique, puisque d'autres gèrent à leur place, leurs renseignements personnels.»
Il faut donc toujours prendre conscience de ce que révèle de nous notre identité numérique, et voir comment la contrôler, pour ne pas tomber dans des dérives nuisibles.
Prends-garde à toi
La communication à travers un écran est à double-tranchant. On échange des nouvelles, on commente, on aime, on critique, on partage des photos à travers un écran abstrait. Derrière un «pseudo», on se crée une image qui peut ne pas nous ressembler en réalité, d'où l'écart entre l'image réelle et l'image créée qui deviendra notre identité numérique. «En postant les "belles" choses qui les concernent, les jeunes enjolivent leur vie, cachent le reste, et peuvent perdre le contact avec la réalité et leur propre image, observe Rowena Ghoch: je ne suis plus qui je suis, mais ce que je veux paraître. L'écran devient un masque qui cache ce que nous sommes. Tous les "actes" des ados deviennent par conséquent dictés par leur préoccupation de leur image digitale et de ce qu'ils vont poster, qui va renforcer cette image. La recherche d'attention, et le besoin de se reconnaître à travers le regard de l'autre peuvent renforcer leur estime de soi, comme ils peuvent la fragiliser. L'importance qu'ils accordent à la "cyber-reconnaissance" va les rendre plus sensibles au regard que porte l'autre sur eux: un nombre de "like" peut leur faire du bien, mais être la cible de "cyber-intimidation" a des répercussions dévastatrices dans la vie réelle d'un ado. Des vols d'identité, des commentaires, photos ou vidéos détruisant leur image virtuelle, bouleversent leurs comportements: sensibles à ces attaques, les jeunes peuvent sombrer dans la dépression ou adopter une conduite à risques qui peut mener à l'alcoolisme, la toxicomanie, et même au suicide. D'ailleurs, notre adresse IP et notre identité numérique nous rendent des cibles d'attaques facilement repérables et localisables, ajoute Rowena. Notre réseau se transforme en une caméra de surveillance de notre vie, 24/24. On peut alors tomber dans la parano: ce sentiment de peur d'être sans cesse poursuivis, observés, devient une obsession. Il n'y a plus de vie privée».
Maîtriser son identité numérique
Au fil du temps, l'identité numérique devient liée à notre «e-reputation», un des critères essentiels pour décrocher un emploi actuellement. D'où l'importance d'être responsable et de bien gérer l'image de soi postée sur le Net. Il est nécessaire de prendre en main son identité numérique et de participer activement à sa construction et sa délimitation pour mieux maîtriser les risques. La prudence est de rigueur: tout ce que je poste de personnel ne m'appartient plus. Les informations sont irrécupérables et peuvent revenir nous hanter des années plus tard. «Tout dépend de l'attitude que le jeune adopte sur le Web, affirme Rowena Ghoch. Quand il y a amour excessif de soi à travers des selfies à n'en plus finir, quand toute la vie tourne autour d'un réseau social, et que le jeune ne se reconnaît plus qu'à travers cette image virtuelle qu'il cherche à montrer, quand il devient aveugle consommateur de tous les "modèles" véhiculés sur le Net, et que sa confiance en soi se construit sur un monde virtuel, il y a danger. Il ne faut donc pas oublier que l'identité numérique et les réseaux sociaux ne sont pas l'unique source d'identification et de reconnaissance de soi. Le jeune peut se reconnaître et s'identifier à travers le regard de l'autre qui vit avec lui : parents, amis, professeurs. Il se reconnaît à travers les moments de sa vie quotidienne réelle, ses efforts, son travail, etc. Il faut donc être toujours conscient que, si sur les réseaux sociaux tout est facile et possible, dans la vie, ce n'est pas toujours le cas : les défis existent, les frustrations aussi. D'où l'importance de renforcer la communication réelle et vraie», conclut Rowena.
Être et devenir soi-même, regarder en vérité l'image de soi affichée au regard des autres, voilà l'essentiel.