Exploration archéologique à Smar Jbeil

Patricia ANTAKI-MASSON | 24/03/2016

Patrimoine

Liban

Avec son château au donjon imposant, ses églises médiévales, pressoirs à huile, tombes, reliefs et inscriptions rupestres, Smar Jbeil vous accueille pour une visite riche en vestiges archéologiques de toutes les époques.

Arrivés dans le caza de Batroun, après avoir bifurqué à droite au niveau du barrage de Madfoun, on atteint rapidement le bourg de Smar Jbeil, perché à 450m d'altitude et offrant un magnifique panorama de la côte.
La «gardienne de Jbeil», nom du village en araméen, est un lieu très ancien puisqu'il a été occupé dès le troisième millénaire avant notre ère, comme l'indiquent les tessons de céramique qui jonchent le point culminant du lieu. Il est aussi connu pour avoir abrité provisoirement, au VIIe siècle, le premier patriarche maronite Jean Maron. Mais c'est surtout les nombreux vestiges architecturaux et rupestres qui vous feront voyager dans le temps aux époques hellénistique, romaine, byzantine, médiévale et ottomane.

Guérison des yeux à l'église Mar Nohra
Au sein de l'ancien bourg médiéval se dresse l'église consacrée à Mar Nohra («lumière» en syriaque). La légende raconte que Nohra ou Lucius était à l'origine un missionnaire persan venu au IIe siècle à Smar Jbeil prêcher le christianisme. Sur ordre de l'empereur Dicolétien, il eut les yeux crevés mais sa foi lui permit toutefois de continuer à voir. Depuis, il est considéré comme le patron des aveugles. L'église et une citerne située près du château sont ainsi devenues des lieux de pèlerinage fréquentés par des fidèles venus implorer la guérison de leurs yeux.
Remaniée à plusieurs reprises, l'église semble avoir été édifiée sur les ruines d'une église byzantine et peut-être même d'un temple romain, ainsi que l'indiquent une multitude d'éléments antiques parsemant les maçonneries: colonnes, croix, etc. Parmi les curiosités d'époque ottomane, ne manquez pas l'impressionnante chaîne aux anneaux taillés dans un même bloc de pierre surmontant l'entrée nord et, à l'intérieur, découvrez de beaux motifs estampillés sur les piliers.

Une chapelle montée de toutes pièces
À quelques mètres de cette église, c'est une autre chapelle médiévale dédiée à la Vierge qui retient l'attention. N'hésitez pas à franchir son porche pour y entrer et découvrir à quoi ressemblaient les chapelles libanaises rurales de cette époque: une nef initialement voûtée se terminant par un chœur en forme d'abside semi-circulaire, des murs enduits ayant conservé ici, par endroits, des traces de peintures et, comme c'est souvent le cas, des blocs antiques insérés dans les murs. Amusez-vous à les repérer.

Un château bien défendu
Le clou de la visite est le château. Bâti à l'origine par les Croisés au XIIe siècle, il fut occupé également à l'époque ottomane, notamment par la famille Khazen. Pour y pénétrer, il fallait franchir à l'origine un fossé imposant taillé dans le rocher. La forteresse est formée d'un mur d'enceinte ponctué de tours défensives et de quelques portes dont une poterne donnant curieusement accès sur le vide. C'est toutefois l'imposant donjon, situé en son centre, qui suscite l'admiration. Rappelant celui du château de Jbeil, mais de dimensions plus réduites, on sait qu'il fut détruit en 1630 par un séisme mais qu'il fut aussitôt reconstruit. À la même époque, de nouvelles salles furent ajoutées ainsi qu'une deuxième enceinte au sud. Une curiosité à ne pas manquer: les latrines intégrées dans le flanc ouest de l'enceinte. La forteresse a subi récemment un gros lifting et dans les années 60, ce sont les beaux blocs de pierre du donjon qui avaient été remontés par les soins de la Direction Générale des Antiquités. Pour une visite nocturne et festive, rendez-vous au festival qui s'y tient en été... en plein fossé!

Bas-reliefs énigmatiques
N'hésitez pas à contourner le château et à repérer sur la falaise nord les surprenants bas-reliefs taillés dans la roche. Le premier ensemble comporte une rangée de six formes ovoïdes. Il est difficile de dire s'il s'agit de personnages à peine ébauchés qui pourraient représenter les défunts enterrés à proximité ou des bétyles, ces pierres sacrées qu'on adorait à diverses époques. Sur la paroi à proximité, vous apercevrez une autre scène: un personnage agenouillé devant un autre, assis sur un siège, et qui figurerait un dieu ou un roi. Le mystère reste donc entier: on ne sait trop ce que ces figures signifient ni si elles sont d'époque phénicienne, hellénistique ou romaine.

Pour les morts: des cavités dans la falaise
Faut-il associer ces images aux tombes que l'on retrouve tout près? Celles-ci prennent la forme soit de simples tombes individuelles taillées dans le rocher, dispersées tout autour du château, soit de véritables salles funéraires aménagées dans la falaise et pouvant recevoir plusieurs sépultures. N'ayant pas encore été étudiées, leur datation demeure, elle aussi, inconnue.

Pressoirs à huile dans le roc
Smar Jbeil a connu, sans doute à l'époque romano-byzantine, une fébrile activité artisanale de production d'huile d'olive. En effet, on trouve à chaque pas des pressoirs, des cuves et des citernes. Si les broyeurs et leurs meules ont disparu, ainsi que les contrepoids des leviers, les aménagements taillés dans le rocher subsistent.
Ceux-ci comprennent les maies, qui recevaient les scourtins, qu'on remplissait de pâte d'olive, les niches qui servaient à caler les leviers que l'on actionnait sur les paniers pour en extraire l'huile et les recettes, ces petites cuves qui recueillaient l'huile ainsi pressée. La gestion de l'eau nécessaire à cette industrie mais aussi aux besoins du quotidien semble avoir été au cœur des préoccupations des habitants. Preuve en est le nombre impressionnant de citernes taillées dans le rocher sur toute la surface de la colline. Par endroits, on peut même suivre le tracé des rigoles qui canalisaient les eaux de pluie vers les citernes.

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