Christian retrouve Victoria

Médéa Toubia | 29/03/2016

Patrimoine

Découverte

Voici le fabuleux récit de Christian Francis, un jeune Libanais instructeur de plongée, qui a retrouvé l'épave du plus prestigieux navire de la marine britannique, le HMS Victoria, coulé dans les fonds marins du Liban.

En 1893, la Flotte britannique domine la Méditerranée. À sa tête, l'amiral Georges Tryon. Le 22 juin de cette même année, Tryon fait procéder à des manœuvres maritimes au large de Tripoli, sur la côte libanaise. Il met en position 10 navires – en 2 colonnes parallèles de 5 bateaux chacune – qui à un moment précis doivent se retourner sur eux-mêmes, pour s'escorter et s'aligner en formation, en rade du port. Fait inhabituel, l'écart exigé entre les deux colonnes est de 6 lieues uniquement, alors que normalement, il devrait être de 8 lieues. Bien que surpris, les capitaines ne discutent pas les ordres de l'amiral renommé, fin et judicieux stratège. Il a sûrement une idée de génie derrière la tête, pensent-ils. Les deux cuirassés situés en tête de chaque colonne, le HMS Victoria, fierté de la marine britannique, qui porte le nom de la reine, et le Camperdown, effectuent leur revirement en même temps, comme convenu. Mais le peu de distance qui les sépare, empêche la manœuvre de réussir, et provoque l'inévitable: les deux bâtiments de guerre entrent dans une effroyable collision. C'est une véritable catastrophe qui, en outre, se déroule en période de paix, par mer calme et temps radieux. Une longue brèche déchire la coque de l'imposant Victoria qui prend l'eau très rapidement. Propulsé vers le fond par ses hélices toujours en marche, il disparaît sous les flots en 13 minutes, emportant plus de 350 membres d'équipage ainsi que le vaillant Tryon qui aurait déclaré en sombrant « Tout ceci est de ma faute».

Sur la piste du Victoria
Nous sommes en 1996. Au cours d'une expédition scientifique qu'il entreprend à Chekka, Christian Francis entend des pêcheurs évoquer le Victoria et le naufrage, qu'ils situent au temps de la Deuxième Guerre mondiale. C'étaient des souvenirs vagues et imprécis qu'ils détenaient de leurs parents et grands-parents», explique-t-il. Légende ou réalité? Pour en avoir le cœur net, Christian se rend au cimetière naval de Tripoli où il découvre les tombes de 6 matelots du Victoria, dont les corps ont été rejetés par la mer. Là, il fait le serment de retrouver le HMS Victoria, le plus redouté des navires anglais de l'époque. «Cela s'est imposé à moi, comme un devoir de mémoire».

Traquer le navire devient une obsession
Pendant 8 ans, Christian mène seul son projet. Il effectue une dizaine de voyages en Angleterre, consulte journaux, rapports d'enquête et archives, déchiffrant minutieusement les témoignages des survivants et les arrêtés de la Cour martiale qui a jugé l'affaire. Mais rien ne lui permet de découvrir les 2 informations-clés qui lui manquent: L'endroit exact du naufrage et la profondeur du lieu. Mais un jour, alors qu'une ultime visite le mène au musée maritime royal de Portsmouth, il tombe sur un document récemment acquis par le musée. Il peut y lire ce qui lui manquait: dix minutes avant de sombrer, le navire était à 6 km au N.E. des îles de Tripoli, face à la Tour des Lions. Il devrait donc se trouver à 140m de fond. «Je décide alors de prendre une année sabbatique et de me consacrer à retrouver l'épave» (www.youtube.christianfrancis : Finding HMS Victoria Thalassa TV FR3).

La seule épave verticale du monde
En août 2004, Christian et ses amis de «Lebanon divers» arpentent le site. «Le sonar ne révélait aucune forme d'épave allongée dans le sous-sol marin. On décide de plonger quand même». Arrivés à 120m de profondeur, ils observent une pause pour rectifier leur trajectoire, quelque peu déviée par les courants. «Soudain, j'aperçois vers la gauche, au-dessus de moi, une énorme masse noire, qui ressemble à une tour d'environ 65m de haut, flanquée de deux énormes hélices sur chaque côté. Je réalise alors que c'est Victoria». Planté sur sa proue, en position parfaitement verticale, le navire de 10470 tonnes s'est encastré dans une profonde couche de vase calcaire. L'équipe procèdera à plus de 48 plongées pour filmer et faire l'état des lieux des 6 000 m2 d'épave. Une centaine d'objets sont sauvés de la cabine de l'amiral et remontés à la surface. «Ils ont été restaurés dans les règles de l'art et seront exposés dès qu'un musée dédié aux objets maritimes sera prêt à les recevoir».
Aujourd'hui, Victoria gît au fond de l'eau sous la protection de l'armée libanaise. L'unique épave verticale du monde compte parmi les 5 trophées sous-marins les plus prestigieux de Méditerranée. Christian sait qu'il en existe 9 autres, mais il faut les explorer, au moyen d'équipements sophistiqués et très coûteux. Pour le moment, il recherche chez les antiquaires tout ce qui se rapporte à l'histoire du Victoria: Il a déjà collecté des cartes, des illustrations et même une maquette authentique de ce navire qui l'a tellement fasciné.

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