La côte appartient à tout le monde

Adélaïde DUCHET | 23/09/2016

Environment

Liban

Connu pour ses grottes sous-marines, Kfar Abida offre aux plongeurs l'opportunité exceptionnelle de nager avec les tortues de mer. Un nouveau massacre du littoral libanais en perspective?

Ils étaient plus de 700, le samedi 10 septembre, à venir signer la pétition pour contester le projet hors-la-loi de privatisation de la côte de Kfar Abida, aux portes de Batroun. Une fois de plus, la liberté du peuple libanais à jouir de son littoral est bafouée. Autorisée par le gouvernement et bénie par la municipalité, l'affaire prévoirait l'aménagement de piscines, bungalows et restaurants. «Ils vont tout détruire alors que cette plage est publique», déplore Elsy dans un sentiment d'injustice.

Mouvement d'opposition
Président d'un club de cyclisme de Batroun, Anthony Badaoui, 26 ans, achève tous les événements qu'il organise par un rituel plongeon depuis le promontoire des grottes de Kfar Abida. Il y fait la connaissance des «Chabeb Kfar Abida», dont Clara, en colère contre le projet qui menace leur village. Le mouvement «Save Kfar Abida» venait de naître, déterminé à ne rien lâcher ni au gouvernement, ni à la municipalité.
«Nous étions environ 700 manifestants, estime Anthony. Mais c'est la qualité de nos visiteurs qui compte davantage: représentants de clubs de plongée, d'escalade, de cyclisme, de sauvegarde du patrimoine, ils étaient là pour relayer notre message.»

D'ici ou de Beyrouth, ils se sentent chez eux
«Les propriétaires viennent ici 3 semaines dans l'année; nous, on est là 9 mois par an à partir de mars. La semaine dernière, j'ai encore nagé avec une tortue. Et ils veulent que tout ça parte en fumée?» interroge avec amertume Wassim, 36 ans, plongeur-apnéiste.
Pour Elsy, 27 ans, architecte à Beyrouth, «les dégâts environnementaux vont être énormes si ce projet voit le jour. Une faune unique et une flore déjà mise à mal par la pollution vont disparaître.»
«On vient de Beyrouth plusieurs fois par semaine après le travail pour faire la fête ensemble, renchérit-elle : c'est un des seuls endroits qui permettent à la fois de camper, de nager et de faire de la plongée sous-marine.».

Elles sont 5 ados de Kfar Abida
«Nous venions ici à la plage quand nous étions petites; nous sommes du village», affirme d'emblée Lynn, 16 ans. «Aujourd'hui, poursuit Ghenwa, 15 ans, nous sommes ici pour sauver notre côte, mais aussi pour la faire connaître.» «Il y a même des touristes japonais qui sont venus manifester avec nous!» lui fait écho Sarah. «Et puis ces grottes sont vraiment spéciales, insiste Elite: il faut laisser nos plongeurs en profiter. Cet endroit public doit être amélioré, pas changé!»
«Bien sûr, c'est un site superbe et naturellement riche qui risque de disparaître. Mais pour nous, c'est aussi la rage de voir toutes nos plages libanaises devenir privées. Payer pour entrer chez soi, c'est un non-sens! On a affaire à des voleurs sur toute la côte, lance Wassim. Mais la côte est à tous, la côte est à nous!»

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