Un musée de la photographie jésuite

Patricia ANTAKI-MASSON | 27/09/2016

Patrimoine

Événement

Un musée passionnant vous ouvre ses portes à la Bibliothèque Orientale de l'USJ. Venez y découvrir d'anciens appareils photographiques et admirer des photos du Liban d'antan.

La prestigieuse Bibliothèque Orientale des jésuites accueille dans ses murs depuis le mois de juin un musée surprenant, doublé d'une exposition, les deux consacrés à la photographie, celle produite par des générations de pères jésuites dès la seconde moitié du XIXe siècle. D'une valeur documentaire inestimable pour le Liban et le Proche-Orient, les photos exposées, dont certaines prennent vie sur des écrans (modernité oblige), ne sont que la pointe d'un iceberg constitué d'environ 70 000 clichés, conservés dans les règles de l'art au sein d'une photothèque qui a vu le jour grâce aux efforts soutenus et à la passion de son directeur, Lévon Nordiguian, et au soutien financier de la Fondation Boghossian.

Des photographes précurseurs
Beyrouth, dans la seconde moitié du XIXe siècle, est, avec Jérusalem et Constantinople, un des centres photographiques majeurs de la région. Parmi les orientalistes qui affluent en Orient, des photographes renommés, comme Tancrède Dumas ou Félix Bonfils, y prennent leurs quartiers, bientôt suivis par des photographes autochtones, tels Georges Sabounji ou les frères Sarrafian. Les jésuites missionnaires qui ne sont pas en reste donnent une forte impulsion à cette discipline. Dès 1865, les pères A. Bourquenoud et A. Dutau, suivis par bien d'autres, au gré de leurs pérégrinations à travers les villages de la montagne libanaise et de la Békaa, mais aussi en Syrie, en Arménie et en Égypte, n'oublient jamais d'emporter avec eux, à dos de mulet, un appareil photographique qu'ils utilisent abondamment... pour notre plus grand bonheur.

Une spectaculaire évolution
Le créateur de ce musée a pris le parti de n'exposer que des appareils et des objets utilisés par les jésuites. Les plus anciens appareils sont de véritables pièces d'ébénisterie munies d'un soufflet qui utilisent des négatifs sur plaques de verre de dimensions variées, 18x24 cm, 13x18 cm ou 9x12 cm. On imagine aisément l'encombrement de cet équipement. Ce n'est qu'à partir de 1884 que ces plaques lourdes et fragiles sont progressivement supplantées par le film en celluloïd qui permet de stocker plusieurs images dans le magasin de l'appareil photographique. Les appareils, comme le Vest Pocket de Kodak, le Voigtländer ou le légendaire Leica, deviennent alors plus légers et plus maniables, ce qui facilite la pratique de la prise de vue. On peut également observer l'évolution des tirages papiers : des premiers papiers albuminés au papier actuel au bromure d'argent.

Avant les drones, la photo aérienne
Afin de détecter des vestiges archéologiques, pas ou peu visibles au sol, le père jésuite Antoine Poidebard, également diplomate, militaire, aviateur, photographe et archéologue, a l'ingénieuse idée de mettre à profit la photographie aérienne qu'il n'aura de cesse de perfectionner, devenant par là le pionnier de l'archéologie
aérienne. Après avoir établi à l'aide de cette méthode le tracé de la frontière romaine à l'Est de la Syrie, il réalise, dans les années 1930, de magnifiques prises de vues de Saïda, Beyrouth et Tripoli et surtout de la péninsule tyrienne où il croira identifier le port sud de la ville, longtemps recherché mais dont l'emplacement est aujourd'hui contesté. Pour ce faire, il a recours à des biplans à hélice, des Bréguet et des Potez (des avions bombardiers) qu'il fait voler à une altitude variant entre 1500 et 5000 mètres, voire plus bas, pendant qu'il met en action, dans la tourelle destinée initialement à la mitrailleuse, un monstrueux appareil photo, un Altiphote, de plus de 8 kg, pourvu d'objectifs et de filtres très performants, et de films aux émulsions très sensibles.

Sous l'eau comme au ciel
Pour l'étude des vestiges submergés des ports de Tyr et de Saïda, le père Poidebard complétera l'investigation à partir des airs par des vérifications sous-marines par le biais de plongeurs en apnée, de scaphandriers et d'un dispositif très simple permettant d'observer les vestiges sous l'eau, jusqu'à neuf mètres de profondeur, sans se mouiller : la lunette de calfat. Celle-ci est une sorte de seau à fond vitré dans lequel l'on pouvait même installer un appareil photographique.

Nourrir les esprits : la religion et les sciences
Si les religieux de l'ordre de la Compagnie de Jésus sont si férus de photo, c'est surtout parce qu'ils considèrent celle-ci comme un excellent outil pédagogique et documentaire. En tant que missionnaires, la photo leur sert en effet à diffuser leur oeuvre apostolique : on voit ainsi de nombreux clichés de classes d'élèves, les écoles étant en effet le fer de lance de leurs missions. Dans le cadre de leur enseignement scolaire et universitaire, on imagine aisément l'émerveillement de l'assistance lors des projections de ces diapositives. Les jésuites sont aussi connus pour s'intéresser aux sciences ; c'est pourquoi leurs photos couvrent des disciplines aussi variées que la géologie, l'épigraphie, l'archéologie (ne pas manquer les sublimes photos de Baalbeck) ou l'ethnographie, comme l'illustrent les innombrables scènes de vie rurale et les
émouvants portraits des membres de certaines tribus ou communautés.

Les plus lus