Des racines et des poubelles

Stéphanie Jabre | 28/10/2016

Environment

Liban

Depuis juillet 2015, le Liban vu du ciel est un paysage jonché d'ordures qui bordent les rues, dégradent l'environnement et infectent l'air. Comment échapper à l'emprise de cette machine infernale qui étouffe le pays?

La fermeture de la plus grande décharge de déchets située à Naamé, ainsi que l'expiration du contrat de la compagnie Sukleen en charge de la collecte et du traitement des déchets, le 17 juillet 2015, sont le résultat attendu d'un mauvais traitement des déchets qui dure depuis 30 ans. Car au Liban, on ne traite pas les déchets, on les enfouit directement. «12% de nos déchets sont traités de manière très primitive, et 80% sont enfouis», précise Mario Ghorayeb, responsable du programme environnement à arcenciel. «Ceci produit un énorme volume d'ordures. La décharge de Naamé avait donc été ouverte pour enfouir les déchets. Mais très vite saturée, elle a dû être fermée.»
Des montagnes de déchets se sont ainsi formées dans le pays. La crise est fatale, accélérée par une corruption politique qui empêche la prise de décisions. Durant des mois, les solutions annoncées se sont évaporées. Les accusations sont nombreuses, les manifestations multiples et plusieurs scénarios politiques sont dénoncés, empêchant l'adoption d'un véritable plan pour régler la crise. Ainsi, un an et demi après le déclenchement de la «crise de la honte», aucune solution durable n'a encore été mise en œuvre pour la gestion des déchets.

De faux-espoirs
Le plan du ministère de l'Agriculture approuvé en mars dernier est lancé: les décharges de Costa Brava et de Bourj Hammoud sont aménagées et celle de Naamé temporairement ouverte pour dégager les rues saturées. Cependant, la décharge de Bourj Hammoud est vite contestée. «On y reproche l'enfouissement de 75% des déchets dans la mer, et le traitement de 25% uniquement», précise Ghorayeb. Ce qui enfreint la convention internationale de Barcelone, qui stipule la protection de la Méditerranée de tout genre de pollution. «Plusieurs personnes compétentes au sein des ministères pourraient appliquer une méthode qui unifie les moyens de gestion de cette crise. Malheureusement, un lourd fardeau politique bloque toute solution durable à ce niveau. L'émergence d'un comité national qui définit les normes à suivre et qui donne les critères et la formation nécessaires aux municipalités dans le domaine du traitement des déchets, est un pas vers une solution nationale», assure Ghorayeb. «La décentralisation est possible à travers les municipalités qui se prendront en charge, à condition qu'une centralisation solide soit assurée par ce comité national, qui assurerait le suivi et le monitoring sur le terrain», conclut-il.

Une crise mortelle
Depuis son déclenchement en juillet 2015, la crise des déchets a considérablement nui à notre santé et à l'environnement, en raison de la pollution des eaux et de l'air. «Si on voit moins les déchets amoncelés, cela ne signifie pas que la crise est résolue», explique encore Mario Ghorayeb. «Ces déchets enfouis dans la mer ont pollué notre littoral et la mer dans laquelle nous nous sommes baignés cet été. Le poisson et la viande que nous mangeons sont également contaminés. D'ailleurs, un rapport officiel du gouvernement prouve que 70% de nos nappes phréatiques sont entièrement polluées, et nous utilisons quotidiennement cette eau polluée. Réduire l'impact de la pollution des eaux est donc urgent. S'ajoute à ce problème celui de la pollution de l'air: si nous traversions une telle crise dans un autre pays, nous serions en état d'urgence et personne ne sortirait sans masque. Même si nous trouvons une solution à la pollution de l'air, il lui faut 18 ans pour être purifié des particules cancérigènes qu'il contient. L'incinération des déchets à l'air libre dans les décharges sauvages accentue la pollution de l'air vu le dioxyde qui se dégage. Les cendres et les gaz mêlés à l'eau de pluie vont faciliter son infiltration dans le sol, et par la suite, dans les nappes phréatiques. Tout est malheureusement relié», souligne Ghorayeb.

«Vous puez!»
«Nous devons agir, sinon la situation ne changera pas et nous serons toujours gouvernés par des corrompus», avoue Wadih Asmar, l'un des activistes de la campagne éco-citoyenne «Vous puez!», formée de membres de la société civile, et qui a joué un rôle mobilisateur dans la crise des déchets depuis juillet 2015. «Les connaissances techniques existent, mais pas la volonté gouvernementale d'adopter une solution stratégique durable», déplore Asmar. «En attendant le changement de la classe politique actuelle, nous pouvons déjà modifier certaines habitudes: avant de trier, il faut d'emblée réduire la production de déchets, et surtout ceux qui ne peuvent être recyclés tels que les sacs en plastique. Une première étape vers la solution», conclut Asmar.

Le geste qui fait la différence
«Tout problème a une solution, aussi grave que soit la crise, affirme Mario Ghorayeb. Il suffit d'initier de bonnes pratiques et le changement s'opèrera. À titre individuel, commencez par le tri à la source. Séparez les déchets recyclables (plastique, papier, carton, métal, aluminium) des déchets comestibles et relatifs au corps. Conduisez avec vos parents ces sacs de déchets aux portes d'une organisation qui peut les recevoir et les traiter. Par ce geste simple, vous aurez participé de manière efficace à réduire la quantité de déchets qui vont, soit se retrouver dans la rue et polluer votre ville, soit être enfouis sans être traités, ou encore brûlés à l'air libre, dans les décharges sauvages. Ainsi vous aurez contribué à réduire la pollution de l'air et de l'eau. Ce geste devrait faire effet boule de neige: une solution certaine pour le Liban», conclut Ghorayeb.

#PokédéchetsGO
Brillante initiative d'un groupe de jeunes Suisses, qui créent en août 2016, leur page Facebook «Pokédéchets Go», invitant les gens à partir à la chasse aux ordures plutôt qu'à celle des Pokémons. Pour participer, il suffit de prendre en photo ou vidéo votre bonne action, quand vous aurez repéré, ramassé et trié les déchets qui traînent dans les rues ou la nature, puis les publier avec les hashtags: #PokédéchetsGo et #1dechetparjour. Se défier pour chasser les plus gros déchets, rencontrer de nouveaux visages, préserver son environnement, voilà une belle action citoyenne à oser !

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