L’hippodrome de Beyrouth: un parc centenaire

Médéa Toubia | 31/10/2016

Patrimoine

Commémoration

Construit en 1916 par les Ottomans, l'hippodrome se loge dans un espace vert de 204000m2 situé au cœur de la capitale. Un tour de piste dans ce lieu mythique, avec Nabil de Freige.

Franchir le lourd portail du parc de l'hippodrome, c'est entrer dans un autre univers. Ici l'espace est énorme, libre, richement boisé. Il abrite le monde des chevaux, ses courses et sa foule remuante. Il y a là cent cinquante lads (palefreniers), une trentaine de jockeys, des éleveurs, une quarantaine d'entraîneurs, des vétérinaires, des propriétaires de chevaux et les turfistes du dimanche. «L'hippodrome est un magnifique lieu de rassemblement et d'échange qui réunit des personnes de régions, de religions et de milieux sociaux différents. Pas étonnant qu'il fut pris pour cible pendant la guerre de 1975, devenant tour à tour, un no man's land, une ligne de démarcation et un passage de la mort», affirme M. de Freige.

Un peu d'histoire
En 1880, les courses équestres débutent sur les sables de Bir Hassan (Ouzaï). En 1916, les autorités turques construisent un hippodrome et un casino dans la forêt des pins de la capitale. Le casino devient la résidence du haut-commissaire français en 1920. Les premières courses débutent officiellement en 1923. En 1969, des propriétaires de chevaux, les Salam, Sehnaoui, Daouk, Pharaon, Arslan, Mekkaoui, de Freige, Hamadé, Joumblatt, Skaff, Ghandour fondent la SPARCA (Société pour la Protection et l'Amélioration de la Race Chevaline Arabe) sous la présidence de M. Henri Pharaon. «La municipalité de Beyrouth est propriétaire du champ de course et de tous ses aménagements, mais c'est la SPARCA qui gère l'hippodrome depuis 1969, et qui continue à le faire jusqu'à présent», explique Nabil de Freige, secrétaire général de cette société à but non lucratif. L'hippodrome connaît ses années de gloire de 1968 à 1975 avec 1300 chevaux alignés en course. Totalement détruit en 1982, l'hippodrome est reconstruit en 1992, mais reste inachevé.

Seuls les chevaux de race arabe ont le droit de courir
Dans l'hippodrome, 350 chevaux de race arabe, sont répertoriés, entraînés et fichés selon les techniques les plus récentes (contrôle de filiation par l'ADN, patrimoine génétique décelé grâce à une puce électronique insérée dans le cou de l'animal). «Partenaire de France-Galop, et membre fondateur de la Fédération internationale des autorités hippiques, la SPARCA a remplacé tout l'équipement obsolète d'antan, par un réseau conforme aux normes mondiales du domaine équestre. La loi libanaise garantit également à la SPARCA des avantages fiscaux, pour lui permettre de réinvestir ses bénéfices dans l'amélioration de la race chevaline (sélection des étalons) et dans la réhabilitation de l'hippodrome», explique M. de Freige.
Ce dimanche-là, une foule enthousiaste assiste aux courses. Pour encourager la présence des dames à l'hippodrome, celles-ci sont exemptées du tarif d'entrée (entre 5000 et 15000 LL). Les chevaux défilent devant les tribunes situées à même la piste, pour que le public puisse mieux choisir ses favoris. Les paris se déroulent sur système informatique. Les taxes perçues sur les paris des courses sont inférieures à celles retenues sur les jeux de hasard, car les turfistes ont le droit de consulter les pronostics émis avant les courses. Les chevaux de même âge, sexe, poids et historique sont lancés sur une distance de 1000, 1400m, 1600m, 2000m et 2200m, à une vitesse de pointe de 60 km/h. L'effervescence des spectateurs est à son comble. Au poteau final, les concurrents sont départagés par flashage. Le vainqueur reçoit sa coupe et les gagnants récupèrent immédiatement leurs gains.

L'hippodrome, futur parc de loisirs?
Faire aujourd'hui de l'espace-hippodrome (204000m2) un parc récréatif ouvert au public est à l'ordre du jour de la SPARCA. Jardin public, musée, parc événementiel, restaurants, pavillons, terrasses (73000m2), club équestre (24300m2) et parkings viendront s'ajouter aux pistes de courses et aux écuries. «L'idée est d'ouvrir le site à des activités spécifiques durant la semaine et d'en faire profiter les citoyens. Encouragée par certains essais, comme le Garden Show, le Vinifest et autres manifestations socio-culturelles, l'actuelle municipalité de Beyrouth a déjà donné son aval, pour la réhabilitation de ce lieu convivial. Les travaux sont estimés à 8,6 millions de dollars».

Anecdote de paddock
Sarra Man Ra'a est un pur-sang au palmarès établi. Un jour, il perd son jockey en pleine course, ce qui lui vaut d'être disqualifié sur le champ. Ne s'avouant pas vaincu, l'étalon poursuit sa course et franchit le premier, la ligne d'arrivée. Il se dirige alors tranquillement vers le photographe officiel et prend la pose du vainqueur. Habitué des podiums de l'hippodrome de Beyrouth, Sarra Man Ra'a n'a pas envisagé une seconde, qu'il pouvait en être écarté.

Jockey: petit homme au poids-plume
Les jockeys mesurent environ 1,55m et ne pèsent pas plus de 50-52kg, car ils ne doivent pas alourdir la bête et freiner sa course. Passionnés de chevaux, les jockeys débutent généralement à 15 ans et sont soumis à une hygiène alimentaire très stricte. Leur journée commence à 5h du matin. Ils entretiennent les chevaux et les exercent à la course. Pour devenir jockey professionnel, la sélection est rigoureuse et s'étale sur 2 ans. Forme physique optimale et nerfs d'acier sont exigés de ces cavaliers, fins stratèges, qui doivent mener leurs montures à la victoire. Ils peuvent pratiquer 6 courses dans une journée. Les chutes sont fréquentes. Les jockeys sont pesés en tenue de course avant et après chaque épreuve, avec une fluctuation tolérée de 100g (sueur). Sinon ils sont disqualifiés. Les jockeys sont rémunérés suivant les résultats des courses.

 

Nabil de Freige et Nabil Nasrallah (directeur général de la SPARCA) ont réussi à sauver près de 300 chevaux, enfermés dans l'hippodrome, privés de nourriture et soumis à d'intenses bombardements, durant l'invasion israélienne de 1982. «Après d'âpres négociations entre le président Sarkis et l'intermédiaire américain, nous avions pu obtenir du ministre israélien de la Défense, Ariel Sharon, un cessez-le-feu de cinq heures pour évacuer les bêtes et les placer en lieu sûr», se souvient M. de Freige.

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