Tell Fadous, le site archéologique de Kfarabida

Patricia ANTAKI-MASSON | 29/12/2016

Patrimoine

Liban

Le bourg de Kfarabida, au sud de Batroun, peut se vanter non seulement de posséder de belles plages encore sauvages, mais aussi de receler en son sol un site archéologique de grande valeur, méconnu du public.

Ces derniers temps, Kfarabida a fait la une des journaux en raison d'un projet immobilier qui risque de défigurer ce bel endroit. Parmi les richesses du lieu, l'archéologie tient une place de taille. De fait, le tell Fadous-Kfarabida qui surplombe la mer abrite une histoire vieille de plus de 5000 ans! Découvert en 2004, il est, depuis, fouillé tous les ans par une équipe de l'AUB, actuellement sous la direction du Dr Hermann Genz. Quoique de taille modeste, 1,5 ha, le site a révélé une occupation qui remonte aux 4e, 3e et 2e millénaires avant notre ère, soit aux premières installations urbaines de l'époque cananéenne. Un des rares sites de cette époque connus au Liban et qui n'a pas fini de livrer ses secrets!

Un centre administratif
Après avoir emprunté un escalier monumental et avoir franchi une entrée percée dans une double enceinte au sud, on se retrouvait à l'intérieur de la ville. Au centre, se dressaient deux bâtiments publics. L'un se compose d'un hall imposant à colonnes mesurant 8x6m, et un autre dispose de plusieurs unités, dont une pièce pour entreposer la nourriture. On y a trouvé des sceaux-cylindres, sans doute utilisés par les autorités pour cacheter des documents officiels. Ces petits objets que l'on portait autour du cou étaient fabriqués sur place à partir de différents matériaux: os, ivoire, calcaire et terre cuite. On a même retrouvé sur certaines poteries les empreintes de ces cachets: motifs géométriques ou animaliers, et même figures humaines. Par ailleurs, une baguette en os de 10 cm de long, perforée, a été identifiée comme le fléau d'une balance – la plus ancienne du Levant semble-t-il – qui servait à peser de petits objets, comme des métaux précieux. Une preuve de plus du rôle administratif tenu par cette modeste ville, qui appartenait sans doute à la sphère politique et économique de sa voisine, Byblos.

Au cœur d'un quartier résidentiel
Les archéologues ont également déterré un quartier résidentiel composé de deux ensembles séparés par des ruelles d'environ deux mètres de large et divisés en plusieurs unités d'habitations. Les constructions sont réalisées avec des murs de moellons et un mortier d'argile. Elles étaient jadis couvertes par des toits en terrasse soutenus par des poutres en bois sur lesquelles reposait une couche de torchis faite de branchages et d'argile. Les sols étaient chaulés et comportaient des bases de colonnes dont les fondations massives laissent supposer que ces édifices comportaient plusieurs étages. Les cours à ciel ouvert étaient dépourvues de colonnes.

La vie au quotidien
Le site a livré une profusion d'objets qui révèlent certains aspects du mode de vie de ses habitants. Comme sur tous les sites archéologiques, c'est la vaisselle en terre cuite qui prédomine: jarres pour stocker la nourriture, jarres et cruches pour la servir, et bols et plats qu'on utilisait à table. La moitié de ces ustensiles est peignée, une technique d'ornement caractéristique de cette époque.
Certaines poteries proviennent d'Égypte, alors en relation économique étroite avec les villes levantines.
Les activités textiles sont à l'honneur à Fadous-Kfarabida. En témoigne la présence d'ustensiles en os (provenant des bêtes domestiques): poinçons utilisés pour perforer tissu ou cuir, fusaïoles que l'on fixait au bas des fuseaux pour le filage, et spatules et pesons pour le tissage.
Les parures n'étaient pas en reste. Les fouilleurs ont ainsi sorti de terre un tube cylindrique en os joliment décoré ayant servi de récipient à des pigments utilisés sans doute comme cosmétiques. Les bijoux étaient composés de perles finement taillées dans le calcaire, mais aussi dans la cornaline et l'anthracite.
Parmi d'autres objets intéressants, un moule en pierre pour lingots, sans doute en cuivre, des pointes de flèche utilisées pour la chasse et la guerre, et des pierres particulières pour l'extraction et la taille des pierres des bâtiments.

Nourriture variée et à portée de main
Les habitants de Tell Fadous-Kfarabida avaient une alimentation diversifiée. Ils se nourrissaient ainsi de produits à base de céréales qu'ils cultivaient, principalement le blé amidonnier. Pour la récolte, ils employaient des faucilles qui étaient réalisées avec des lames en silex. Les grains étaient ensuite transformés en farine alimentaire à l'aide de molettes et de meules, ou à l'aide de pilons et de mortiers dont certains ont été retrouvés encastrés dans les sols des maisons. Deux fours repérés dans les habitations attestent la production de pain. Olives, lentilles et raisins figuraient aussi à leur menu.
Mais le régime des occupants n'était pas que végétarien. Si la chasse, notamment de daims et de sangliers, jouait un rôle marginal, ce sont les animaux qu'ils élevaient qui constituaient une partie importante de leur alimentation, principalement moutons, chèvres, bœufs et porcs. La proximité de la mer était mise à profit: de petites embarcations qu'ils amarraient dans la baie au pied du tell leur permettaient d'aller à la pêche, sans avoir à s'aventurer trop loin, et de revenir avec quantité de poissons et de mollusques, et même de tortues de mer, ainsi que le montre une carapace entière de ce reptile mise à jour sur le site.

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