Le kiosque à musique de Taanayel En terre, en bois et en pierre

Maria PASCALIDES | 22/09/2017

Patrimoine

Dossier

Se familiariser avec l'architecture de terre et construire un kiosque en briques d'adobe, tels étaient les objectifs de l'atelier organisé par deux architectes, Fadlallah Dagher et Gilles Perraudin, pour des étudiants et jeunes diplômés en architecture. Le lieu: l'écolodge d'arcenciel et le domaine des pères jésuites à Taanayel, géré par arcenciel.

C'est en sautant pieds joints dans l'argile que dix étudiants d'écoles d'architecture et jeunes diplômés, libanais et européens, commencent à se familiariser avec l'architecture de terre. Une fois qu'ils ont piétiné l'argile avec un peu d'eau et de la paille de blé hachée, ils versent le mélange dans des moules en bois et le laissent sécher au soleil. «Les briques obtenues sont appelées briques d'adobe», explique Camille, une des étudiantes qui participent à l'atelier «Pierre, terre et bois» organisé à Taanayel par deux architectes, Fadlallah Dagher et Gilles Perraudin, en collaboration avec arcenciel.

Une expérience enrichissante
Sur le chantier, Paul, Camille, Angèle, Augustin, Rana, Yara, Georges, Jean, Arthur, Nassim s'affairent et se partagent les tâches. Les briques bien sèches sont assemblées grâce à un mortier à base d'argile. Paul, très méticuleux, tire un fil pour s'assurer qu'elles restent bien alignées. Les pans de mur s'élèvent bien vite. Un enduit à base d'argile recouvre les briques.
«La construction terminée, les façades du kiosque seront recouvertes de "houwwarah", un enduit de couleur blanchâtre à base de marne, pour l'esthétique et la protection des murs, » précise Fadlallah Dagher.
«Cet atelier nous a permis de nous familiariser avec les techniques de l'architecture de terre que nous n'avons jamais étudiées à l'école d'architecture où l'on nous parle principalement de béton et d'acier», soulignent les participants.
«Nous avons aussi beaucoup appris en travaillant avec les maçons de la région qui ont partagé généreusement leur savoir-faire avec nous», renchérit Augustin.
Angèle, qui a reçu une commande pour la construction d'une maison de terre à Batroun, souligne qu'il était important pour elle de participer à cet atelier pour expérimenter les techniques de ce type d'architecture.
Yara a suivi un stage au bureau d'architecture de Fadlallah Dagher, qui a dessiné les plans du kiosque. «J'ai eu la chance de travailler sur les différentes étapes du projet: conception, dessin de la façade, diagramme, budget... C'était la première fois que je dessinais le plan d'une maison de terre.»
«L'organisation de l'atelier était super. Le travail sur le chantier débutait tôt tous les matins, puis après le déjeuner au Khan al-Mansour juxtaposé à l'écolodge, diverses activités étaient programmées: visite de sites, conférences et festivités», souligne Alexandre.
«L'expérience est unique, avoue Rana. L'ambiance qui régnait était top! L'échange avec les membres de l'équipe, venus de différents horizons, était très enrichissant.»

Le kiosque à musique
«Cet édifice est public et ornemental, explique Fadlallah Dagher. Pour le construire, nous avons employé les techniques traditionnelles de l'architecture de terre (argile, paille et tronc de peuplier pour le toit) et nous avons ajouté quelques innovations: l'iwan en T, les claustras, une arche en encorbellement, la pierre pour les piliers et les linteaux des fenêtres et des portes.»
Après deux semaines de travail acharné, le kiosque s'élevait près du lac dans le domaine des pères jésuites à Taanayel, géré par arcenciel. Une fête tout en musique et un dîner avec des spécialités du terroir ont clôturé l'atelier.

Les maisons de terre disparaissent
«Depuis une vingtaine d'année, les maisons de terre disparaissent de la Békaa alors qu'elles y étaient très répandues, regrette Hoda Kassatly, ethnologue, photographe et responsable d'un projet d'arcenciel sur la culture et le patrimoine. Abandonnées par leurs propriétaires, elles s'effondrent. Elles sont remplacées par des immeubles construits en béton.»
«Pour les habitants de la région, explique Nassim Hijazi, une étudiante de Saadnayel qui a participé à l'atelier, le béton est plus prestigieux que les briques d'adobe. Le béton est pour eux synonyme de réussite sociale, de modernité, alors que les maisons de terre confirment leur condition de paysans. Une vie qu'ils rejettent après avoir renoncé au travail de la terre.»
«Les jeunes sont déculturés, renchérit Gilles Perraudin. Ils sont victimes du marketing qui tend à leur faire croire que le béton est un matériau noble.»

Les avantages de l'architecture de terre
«arcenciel, poursuit Hoda Kassatly, a construit, à Taanayel, l'écolodge, un ensemble de cinq maisons à l'architecture traditionnelle, en briques d'adobe. arcenciel espérait que cette expérience fasse des émules dans la Békaa. Ce n'est pas encore le cas. Il faudrait qu'un notable de la région construise ce type de maison pour qu'il soit, peut-être, adopté par les autres.»
«Pourtant, précise Fadlallah Dagher, l'architecture de terre, présente une multitude d'avantages. Les matériaux utilisés (argile, paille, bois) sont trouvés sur place, dans l'environnement où les maisons sont construites. Ces matériaux renouvelables ne causent aucune nuisance à l'environnement une fois l'habitation abandonnée. De plus, la brique d'adobe est un excellent isolant: les maisons en terre restent fraîches en été et plus chaudes en hiver, contrairement au béton qui absorbe la chaleur de l'été et le froid de l'hiver. Les étudiants, qui ont participé à cet atelier, ont dormi à l'écolodge d'arcenciel durant leur séjour. Ils ont pu constater le confort de ces habitations.»

Fadlallah Dagher, architecte libanais, a collaboré avec arcenciel pour la construction de l'écolodge et de Khan el-Mansour à Taanayel. Il a participé, en France, à l'atelier organisé par l'Académie de la pierre présidé par Gilles Perraudin. Et de là, a germé l'idée d'organiser avec Gilles et en collaboration avec arcenciel à Taanayel l'atelier «Pierre, terre et bois». Fadlallah s'intéresse au patrimoine libanais et à l'histoire de l'architecture. «L'architecture libanaise est une de mes sources d'inspiration. Je cherche toujours à respecter l'environnement dans lequel je conçois le bâtiment qui sera construit.»

Rencontre avec Gilles Perraudin
Gilles Perraudin préside l'Académie de la pierre, une association qui a pour but de favoriser la connaissance de la pierre massive dans l'architecture. Mais il connaît bien l'architecture de terre. «Mon premier projet, il y a 35 ans, était des logements en terre, construits près de Lyon (France)». Depuis 20 ans, Gilles Perraudin favorise la construction de bâtiments publics en pierre massive. «J'utilise la chaux et jamais le ciment pour les assembler. Je n'emploie que des matériaux que l'on trouve dans la nature pour réduire la consommation d'énergie. La construction est responsable de 40% des émissions de CO2», affirme-t-il.
«Il y a une urgence à changer notre façon de construire et à adopter une attitude éco-responsable pour sauvegarder les conditions de vie sur Terre.» À son avis, la maison idéale serait celle construite avec les matériaux que l'on trouve sur place. «Comme ici, dit-il: la terre, la paille, le bois et la pierre.»
Et sa cité idéale? «C'est celle d'avant la révolution industrielle. À cette époque, la campagne nourrissait la ville. Aujourd'hui, avec l'extension des métropoles, les terres cultivables disparaissent. Or pour se nourrir, chaque individu a besoin de 2000 mètres carrés.» «Le progrès va-t-il assurer le confort de l'homme?» se demande Gilles Perraudin.

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