Escapade archéologique sur les rives de Nahr Bisri

Patricia ANTAKI-MASSON | 22/09/2017

Patrimoine

Protection

Au cœur du Chouf, la vallée verdoyante de Bisri est émaillée d'anciens édifices, témoins d'une histoire riche et plurimillénaire, qui semblent, hélas, voués à disparaître prochainement.

Une vallée bientôt engloutie?
Avant d'arriver à Saïda, la route qui longe la rive droite du fleuve Awali vous mènera à Joun. Après avoir dépassé Deir el-Moukhallès, une bifurcation vous conduira au fond d'une belle et surprenante plaine agricole, à une altitude d'environ 460m, le marj Bisri. Ce magnifique paysage de chênes, de pins et de riches plantations, qui tapissent le fond de la plaine où serpente le fleuve de Bisri, est un véritable paradis pour les amoureux de la nature. De plus, les nombreux vestiges qu'on découvre au détour des méandres du nahr révèlent que ce site fut un lieu privilégié, occupé par l'homme depuis la nuit des temps. Malheureusement, l'aménagement d'un barrage hydraulique qui semble inéluctable menace d'inonder la vallée et son patrimoine exceptionnel.
Le Bostrenus, ancienne voie de passage
Le fleuve Awali naît de la rencontre de deux rivières, l'une provenant du nord, le Nahr Barouk, et l'autre du Sud, le Nahr Aaray. Les Grecs et les Romains l'appelaient Bostrenus, un nom qu'on peut sans hésiter rattacher à celui de la localité de Bisri et de son fleuve, qui constitue le premier tronçon du Awali. La vallée irriguée par ce fleuve constituait depuis l'Antiquité une voie de passage permettant de relier la ville de Saïda à la Békaa en passant au nord par le Barouk ou au sud par Jezzine. D'ailleurs, un escalier d'époque romaine taillé dans le rocher, al-Maabour el-Roumani, menant jusqu'au fond de la vallée, permet d'entamer une agréable randonnée à partir du village de Mazraat el-Chouf. Le bourg principal du marj se trouvait peut-être sous l'ancien hameau de Khirbet Bisri, situé en aval.

Des traces préhistoriques
Les conditions favorables de cet environnement ont permis à l'homme de s'y implanter dès la préhistoire. Les archéologues ont en effet décelé dans le lit de la rivière plusieurs outils en silex: de grands éclats qui remontent au Paléolithique moyen (300000-45000) et des haches du Néolithique ou du Chalcolithique (8000-4000 av. J-C) .

Dense occupation couvrant plus de 2000 ans
Arrivés au hameau de Khirbet Bisri, une pancarte indique la direction de Mar Moussa. Un kilomètre plus loin, on découvre cette pittoresque église en pierre construite au XIXe siècle. Juste en dessous, se cache parmi les buissons un imposant bâtiment aux murs épais formé de quatre salles voûtées communiquant entre elles. La tradition orale la désigne comme un monastère dédié à Sainte-Sophie.
Une trentaine de vestiges similaires parsèment la vallée: simples fermes ou grandes demeures, ils dateraient tous de l'époque ottomane. Une prospection de la région et l'analyse des tessons de céramique qui gisent sur le sol a cependant permis de déterminer une occupation de ces sites aux époques hellénistique, romaine et byzantine, du temps où la vallée devait constituer un pôle économique agricole rattaché à la ville de Sidon.

Un insolite temple romain
À l'entrée du village de Bisri, un sentier cahoteux vous mènera sur 6km le long de la rive gauche de la rivière, au point de confluence du Awali. Après avoir traversé un vieux pont, vous tomberez nez à nez avec quatre imposantes colonnes. Ces fûts en granit gris importés d'Égypte formaient la façade d'un temple tourné vers l'est. Quant au reste de l'édifice, il est tout simplement enfoui sous des mètres d'alluvions fluviales déposées là au fil des siècles. Les dimensions notables des colonnes, d'environ un mètre de diamètre, et celles du portique qu'elles forment, large de quinze mètres, font de ce temple rural l'un des plus grands du Liban.
Des tombes rupestres
Sur les parois rocheuses de la vallée, deux tombes ont été aménagées à l'époque romaine. Il s'agit de chambres funéraires dont l'une contient des niches destinées à recevoir les défunts. Vous pouvez observer l'une près de l'église Mar Moussa et l'autre à 500m au nord-est du temple.

Des ponts pittoresques
Si le Awali se franchit le plus souvent à gué, deux ponts en pierre permettent de passer d'une rive à l'autre. L'un, formé d'un seul arc, enjambe le Nahr Bisri à sa naissance. Il est sans doute d'époque ottomane, avec toutefois des fondations qui remontent vraisemblablement à la période romaine. Au sud, en allant vers Jezzine, un autre pont en pierre, plus conséquent, incorpore dans
ses maçonneries un élément décoratif antique et pourrait aussi remonter à cette époque.
Une église aux origines croisées
Vous serez accueillis à l'entrée du village de Bisri par une belle église en pierre du XVIIIe siècle dédiée à Notre-Dame, à trois nefs et couverte de voûtes. Une inscription syriaque qui surmonte l'entrée rappelle que l'église fut à l'origine érigée en 1252, du temps de la présence des Croisés, et qu'elle fut reconstruite en 1756 par le patriarche Awad.

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