Les chrétiens d’Orient

Médéa Toubia | 27/12/2017

Monde Société & Média

Exposition

L'exposition « Chrétiens d'Orient, 2000 ans d'histoire » se déroule actuellement à l'Institut du Monde arabe (l'IMA*) à Paris. Elle concerne les chrétiens qui vivent dans les territoires de la Syrie, du Liban, de l'Égypte, de la Jordanie, de l'Irak et de Palestine.

Depuis l'avènement du christianisme, né au cœur de cette région il y a 2000 ans, jusqu'aux bouleversements tragiques d'aujourd'hui qui mettent les chrétiens en péril, l'exposition nous propose de découvrir leur histoire, leur culture, leur patrimoine et le rôle qu'ils ont joué dans le développement politique, économique, intellectuel et religieux de cette partie du monde. L'expo s'appuie sur plus de 300 œuvres, mosaïques, chapiteaux, trésors d'église, icônes, fresques, manuscrits, ouvrages illustrés – dont certains sont présentés pour la première fois en Europe – photographies, documents diplomatiques, vidéos, installations, musiques et traditions.
Une évidence s'impose: les communautés chrétiennes sur le sol du Proche et du Moyen-Orient témoignent d'une longue histoire riche et diverse depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Ces populations sont attachées à leur identité bi millénaire et sont viscéralement impliquées dans ce monde arabe, à la construction duquel elles ont largement contribué. Regards sur l'exposition.

Une religion nouvelle dans l'empire romain païen
Les Évangiles situent la prédication du Christ en Palestine. À sa mort et sur les pas des apôtres, le christianisme se répand sur le pourtour de la Méditerranée en moins de deux siècles, jusqu'à atteindre la Perse et l'Inde.
Suite aux persécutions fréquentes que subissent les Chrétiens, l'empereur Constantin décide en l'an 313 de ne favoriser qu'une seule religion dans l'Empire romain: le christianisme. C'est le début d'une vaste prospérité pour cette religion. Le territoire se couvre d'églises et toutes les techniques artistiques sont mises au service du culte chrétien: encensoirs et calices, lampes de suspensions, mosaïques, tissus brodés, sculptures et amulettes.

C'est à Antioche, capitale de la Syrie romaine, que le nom «chrétien» a été, pour la première fois, donné aux disciples du Christ. L'évangélisation s'est faite en araméen, la langue du Christ, et en Grec. Le syriaque est le nom donné à l'araméen dans son usage chrétien.

Essentiellement urbain à son origine, le christianisme gagne les campagnes par l'entremise des moines qui y propagent la nouvelle religion. Le modèle de la vie monastique est né au IIIe siècle dans le désert égyptien avec saint Antoine et saint Pacôme vite suivis d'adeptes en Syrie, en Palestine et en Mésopotamie. Ces hommes et ces femmes vivent retirés du monde, en solitaires ou en communautés pour consacrer leur vie à la prière et à l'ascèse.
Au IVe siècle, le culte des saints prend une importance considérable. Des pèlerinages s'organisent autour des tombeaux des saints et des martyrs ou de leurs reliques, attirant des pèlerins et des disciples de toutes parts.
Des querelles théologiques, sur la question de la nature du Christ (est-il divin ou humain?) divisent et aboutissent à l'émergence de différentes églises orientales, au Ve siècle: les églises nestorienne, copte, syriaque, arménienne, éthiopienne.

Églises chrétiennes d'Orient et domination islamique
Nous sommes au VIIe siècle. C'est depuis l'Arabie que les successeurs du prophète Mahomet lancent la conquête musulmane: Damas est conquise en 636, Jérusalem en 638, Alexandrie et Mossoul en 641. Selon les dirigeants au pouvoir, les chrétiens vivent entre périodes de paix et de persécutions, tantôt préservés en tant que dhimmis (protégés), tantôt oppressés. En dépit d'une diminution de leur population, les chrétiens maintiennent échanges intellectuels, artistiques et culturels avec les conquérants. Jean Damascène «Père de l'Église» est l'intendant général du calife Ommayade «Abd al-Malik» (646-715). Des nestoriens s'illustrent en tant que médecins, savants et traducteurs auprès des Abbassides (750-1258). Des érudits et des artisans de toutes confessions se côtoient dans l'école philosophique de Bagdad ou bien s'associent dans le travail de la verrerie et du métal. Des artisans coptes s'inspirent du style islamique en matière de boiserie et de panneaux incrustés d'ivoire et l'architecte copte, Kâtib al-Firghâni est chargé de la construction de la mosquée d'Ibn Tulun pour les califes d'Égypte au Xe siècle.
Cette époque est marquée par la profusion des images et des représentations saintes que les chrétiens affectionnent et qui témoignent de la grandeur de leur religion. Églises et iconostases se couvrent d'icônes et de fresques murales.
La langue arabe se répand. Les chrétiens vont l'intégrer dans la liturgie, le décor des églises et la traduction de leur littérature. Dans l'exposition, un dispositif sonore permet de découvrir toutes les langues des offices religieux du christianisme oriental.
La présence des Croisés en Orient, entre les Xe et XIIIe siècles, entraîne un durcissement des relations entre chrétiens orientaux et musulmans. Sous la période de la domination ottomane (du XVe au XXe siècle) les initiatives occidentales en direction des chrétiens d'Orient se multiplient avec l'envoi de missionnaires et l'ouverture d'écoles. Au XVIIe siècle, la peinture d'icônes connaît un renouveau avec la fameuse école d'Alep du peintre Youssef al-Mussawir. Les Sultans ottomans prennent l'engagement de protéger les lieux saints, Jérusalem et Béthléem.

Participation active des Chrétiens d'Orient au nationalisme arabe
Au XIXe siècle, des intellectuels, journalistes, traducteurs, philosophes, pédagogues, auteurs, se revendiquent d'une culture arabe moderne, distincte des identités religieuses. Ils parlent de «nation arabe» et refusent l'ingérence occidentale. C'est la «Nahda» (Renaissance). Les noms de Bustani, Yasiji, Jibran, al-Chidiaq, Khuri, Tuéni, Naccache, témoignent de l'importance des chrétiens dans ce mouvement. Ils sont familiers avec l'édition, (la 1re imprimerie du livre arabe est située au couvent melkite de Choueir au XVIIIe siècle) et dynamisent le travail sur la langue arabe. May Ziadé (1886-1941) au Caire ou Marie Ajami (1888-1965) à Damas et à Beyrouth, interpellent la question de l'émancipation des femmes. «Arabes réveillez-vous» lance Ibrahim el-Yazigi (catholique libanais) dans un poème, en 1876. Mais le déclin de l'Empire ottoman à partir de la moitié du XIXe siècle, jusqu'à sa chute en 1918, s'accompagne d'évènements tragiques pour les communautés chrétiennes: les massacres des chrétiens en Syrie et au Liban en 1860, la famine au Mont-Liban qui décime sa population à majorité chrétienne, le génocide arménien provoqué par les jeunes Turcs en 1915, le massacre des Assyriens de l'Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale.

Un présent plein de dangers et de promesses
Au dernier volet de l'exposition, l'espace est consacré aux chrétiens du monde arabe au XXIe, garants de sa diversité. Des auteurs et des artistes contemporains, dont 7 photographes arabes, questionnent des chrétiens, confrontés au danger de l'Islamisme, et aux bouleversements économiques et politiques que connaît le Moyen-Orient. Les réponses abordent le vivre-ensemble, l'identité arabe, le déracinement, la guerre, l'exil, le regain de foi et la mort. L'exposition s'achève sur l'actualité du patrimoine des Églises orientales. Un legs dense, vieux de 2000 ans.

* L'exposition de l'IMA se prolonge jusqu'au 14 janvier 2018 à Paris.

Réf : «Chrétiens d'Orient 2000 ans d'histoire», catalogue Gallimard et dossier de presse.

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