Histoires de colonnes

Patricia ANTAKI-MASSON | 29/12/2017

Patrimoine

Liban

Les colonnes sont partout. Elles s'insèrent si bien dans le paysage des sites archéologiques libanais qu'elles sont devenues presque banales. Et pourtant, elles sont toutes dotées d'attraits, à qui sait bien les regarder.

Qu'elles soient romaines, byzantines ou médiévales ; qu'elles soient dressées le long des voies, dans les temples, les églises, les mosquées ou même les châteaux ; qu'elles soient majestueuses comme sur des sites aussi prestigieux que Baalbeck, Byblos, Beyrouth ou Tyr ou qu'elles se fassent plus discrètes dans des sites plus isolés comme à Faqra ou à Bisri, les colonnes nous livrent une foule d'informations.

Technique
Une colonne se compose d'une base ou piédestal parfois orné de moulures, d'un fût monolithique ou constitué de plusieurs tambours et d'un chapiteau coiffant l'ensemble. Si une toiture est prévue, c'est l'entablement aux éléments richement décorés qui sert de support. La fixation des différentes composantes entre elles se fait généralement à l'aide de pièces métalliques, des goujons de fer scellés au plomb dont on peut encore observer de nombreuses traces sur les blocs gisant au sol. Les visiteurs attentifs y décèleront aussi des marques d'assemblage gravées par les tailleurs de pierre.

Les chapiteaux, nobles couronnes
C'est la forme du chapiteau qui révèle l'ordre auquel appartient la colonne. S'il est simple, la colonne est dorique. S'il affiche deux volutes, la colonne est ionique. Et s'il est en forme de corbeille de feuilles d'acanthe, on parlera d'ordre corinthien. Des chapiteaux en forme de lotus comme ceux de la façade du Musée national, édifié il y a 75 ans, à la mode égyptienne, appartiennent à l'ordre lotiforme. Les chapiteaux les plus splendides restent toutefois ceux à tête de taureau dont les Perses ornèrent les colonnes de leurs monuments, comme ce fut le cas au temple d'Echmoun.

Des colonnes pour tous les goûts
Si la plupart des colonnes sont taillées dans la roche locale, en grès ou en calcaire, d'autres ont été importées à l'époque romaine ou byzantine. Ainsi, celles en granit rouge ont été extraites dans les carrières de Syène à Assouan, celles en granit gris d'Égypte ou de Troade (en Turquie), celles en marbre blanc de l'île de Marmara dans le Proconnèse et celles en marbre cipolin vert de l'île grecque d'Eubée. Outre cette diversité de matériaux, certaines colonnes ont un aspect lisse alors que d'autres peuvent être cannelées (à rainures) ou torsadées (en hélice).

La parure des monuments
La majorité des colonnes est employée dans la structure des bâtiments, leur conférant leur caractère monumental. Elles en composent parfois la façade, notamment celles des temples. Et c'est grâce à leur disposition qu'on identifie les trois types majeurs de ces édifices. S'il y en a deux entre le prolongement des murs, il s'agit d'un temple in antis (à antes). S'il y en a plusieurs occupant la largeur de la façade, le temple est appelé prostyle. Un temple entouré de colonnes ou péristyle est dit périptère, comme ceux de Jupiter et de Bacchus à Baalbeck. Quant aux belles colonnades qui s'étendent parfois à perte de vue, elles servaient à flanquer les voies publiques, romaines ou byzantines et pouvaient recevoir des toitures formant des portiques couverts comme à Jbeil ou à Beyrouth.

À Baalbeck, les colonnes les plus hautes du monde
Le temple de Jupiter à Baalbeck peut s'enorgueillir de posséder les colonnes les plus hautes du monde. Elles mesurent en effet presque 20 m (base et chapiteau inclus) pour plus de 2 m de diamètre. Des 54 colonnes en calcaire extraites dans une carrière voisine qui formaient à l'origine le péristyle du temple, seules six se dressent encore dans toute leur splendeur.

Affiches publicitaires
Certaines colonnes servent d'élégants supports à des inscriptions honorifiques, véritables outils de propagande, comme des dédicaces aux dieux, aux empereurs ou à des personnages importants. Parfois, ces colonnes votives étaient surmontées de statues. D'autres colonnes sont des bornes milliaires qui étaient érigées le long des voies pour indiquer les distances mesurées en milles romains.

Recyclage de colonnes
À l'époque médiévale, les Croisés se sont abondamment servis des colonnes qu'ils trouvèrent littéralement à leurs pieds sur les sites pour renforcer les bases de leurs fortifications et les rendre plus résistantes aux séismes et à la sape. On peut en voir par exemple dans les châteaux de Saïda ou de Jbeil. De nombreuses églises de la montagne ainsi que certaines mosquées, notamment à Tripoli, remploient aussi dans leurs murs ces antiques colonnes pour leur aspect décoratif.

Sacrées colonnes
Il arrive que certaines colonnes deviennent au fil du temps des objets de dévotion. Ainsi dans la chapelle de Saint-Siméon le Stylite, sur les hauteurs de Jbeil, c'est une colonne imposante qui occupe une bonne partie de l'ancienne chapelle et qui rappelle que le saint passa justement sa vie sur une colonne similaire.

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