Être Femme au Liban

Stéphanie Jabre | 22/02/2018

Citoyenneté

Dossier

Femme libanaise des années 2020: statut, combat, avenir... Tour d'horizon «féminin» avec Claudine Aoun Roukoz, présidente de la Commission nationale de la Femme libanaise et assistante spéciale du président de la République.

Célébrer la Journée internationale de la femme le 8 mars chaque année, c'est aussi rendre hommage à la femme libanaise victime de violences physique ou morale, de mariage forcé ou de harcèlement sexuel, et qui n'a pas encore les pleins pouvoirs sur ses droits humains et naturels. «De nos jours, avec l'avènement de nouvelles lois et leurs amendements, la femme au Liban est mieux protégée par l'État, souligne Claudine Aoun Roukoz. Une femme battue peut enfin porter plainte. La loi qui innocentait le coupable, en cas de crime d'honneur, a été abolie. Celui qui tuerait une femme adultère n'est donc pas sauvé par la loi. Grâce aux efforts de la Commission nationale de la Femme libanaise (CNFL)* et ceux d'ONG telles que Kafa, Abaad, etc. des projets de loi ont été présentés au Parlement. La CNFL collabore également avec le ministère de la Justice pour la formation des juges. D'ailleurs, plus de la moitié des postes de magistrats est occupée par des femmes. On a un long chemin à parcourir pour changer les mentalités de ceux qui considèrent la femme comme étant un "objet" dont on peut facilement se débarrasser, et sensibiliser les hommes à la violence commise à l'égard des femmes. C'est par l'éducation que s'opèrera le changement.»
L'émancipation d'une société de consommation, créant des besoins économiques, a engendré également une émancipation du statut de la femme. «Je me bats pour l'égalité des droits des hommes et des femmes et non pour l'égalité de leurs rôles, déclare Claudine. Chacun d'eux a un rôle naturel biologique, qu'il assume. Je respecte le rôle que la femme choisit : pour moi, une femme qui veut fonder une famille, être femme au foyer et éduquer ses enfants est tout aussi noble qu'une femme qui veut se donner à la vie publique. Chacun a sa place : par leurs apports respectifs, hommes et femmes se complètent.»

Violence domestique
Au Liban, la loi contre la violence domestique a longtemps été liée au statut personnel. « Le débat a duré sept ans, précise Claudine Aoun Roukoz. Les amendements à cette loi que nous avons proposés, ont été enfin votés au Conseil des ministres et "attendent" d'être votés au Parlement. Cela est pressant, vu le nombre croissant de meurtres commis à l'égard des femmes par leur maris, lors de ces derniers mois. Quelle est cette culture qui donne le droit à l'homme de mettre fin à la vie d'une femme? Cette mentalité peut changer par l'éducation.»

Article 522 : femme victime de viol
En août dernier, grâce aux campagnes de pressions de la CNFL, des ONG, et de la société civile, le Parlement abroge l'article 522 du code pénal qui ne condamnait pas le violeur s'il épousait sa victime. «Désormais, le criminel n'est plus innocenté, sauf s'il est âgé entre 15-18 ans, déplore Claudine Aoun Roukoz. Malheureusement, nos lois sont soumises à des dérogations selon la confession, ou la région, etc.
Comment un violeur peut-il épouser sa victime? On double le crime ainsi, par un autre crime. L'État doit imposer des lois pour protéger ses citoyens, et les cas "particuliers" devraient changer leurs pratiques et se conformer à la loi».

Femme au pouvoir
«La CNFL a pu obtenir qu'une femme mariée puisse se présenter aux élections, dans sa ville ou son village natal (e) et non dans celle ou celui de son mari, comme le stipulait l'ancienne loi, explique Claudine Aoun Roukoz. Mais ce que nous n'avons pas pu encore obtenir, malgré les revendications de la CNFL et de la société civile qui se bat en faveur des droits de la femme, c'est un quota de 30%, au sein de la loi électorale qui sera appliquée cette année aux législatives. Le quota féminin, s'il avait été ajouté, aurait garanti la représentation de la femme au pouvoir exécutif, à travers un nombre de candidates élues au Parlement.
Toutes les lois votées au Parlement ont un impact direct sur la vie quotidienne des femmes qui forment la moitié de la société. Il est donc impératif qu'elles prennent part à la prise de décision, affirme Claudine. En étant députées au Parlement ou membres du Conseil des ministres: elles participent alors aux négociations, en apportant leur "touche" de femme aux lois qui sont votées. J'encourage les femmes à se présenter aux prochaines élections: elles ont beaucoup à donner à la société, par le seul fait d'être une femme!».

Droit à la nationalité
«Nous relançons sans cesse le chantier du droit de la femme libanaise à donner sa nationalité à ses enfants, mais c'est un projet de longue haleine, avoue Claudine. C'est un droit naturel. Aucune mère ne devrait en être privée. Malheureusement, les appréhensions concernant un déséquilibre démographique entravent l'avènement de cette loi. Or la loi peut être conçue de façon à trouver des solutions à ces craintes, et non en décidant de priver la femme de ce droit fondamental.»

Aux jeunes de l'avenir
«Je veux rassurer les jeunes et leur dire qu'il y a une volonté de développer le pays, pour qu'ils y restent et qu'ils y travaillent. Ne désespérez pas. On bâtira ensemble un pays même à petits pas. Vous êtes le changement: croyez en vous-mêmes, et rien ne sera impossible», conclut Claudine Aoun Roukoz.

Célébrations de la Journée internationale de la femme
À l'occasion du 8 mars, la CNFL* organise deux événements:
• Une conférence qui se tiendra à Baabda, le 7 mars, sous le patronage de la Première Dame, dans le but de rassembler toutes les commissions rattachées à l'État, qui travaillent sur le dossier de la femme au Liban, d'unifier les visions et les finalités de chacune, et de se répartir les tâches et les initiatives. Suite à cet événement, la CNFL souhaite ainsi limiter le «gaspillage» de temps, d'argent et d'énergie, dû au duplicata des rôles.
• En collaboration avec l'ambassade suisse au Liban, le film The divine order réalisé en Suisse sera projeté. Il montre la lutte des femmes suisses dans les années 70, pour obtenir leur droit de vote. Même si la femme au Liban a obtenu facilement son droit de vote, la projection de ce film vise surtout à souligner l'importance de lutter pour un droit.

* Commission nationale de la Femme libanaise – CNFL. Créée en 1998, cette institution gouvernementale lutte pour la promotion des droits de la femme, en renforçant ses capacités, en améliorant sa condition de vie relationnelle ou professionnelle, et en lui assurant l'égalité des chances avec les hommes.
Le Liban ayant ratifié en 1996 la CEDAW (Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes) en émettant toutefois des réserves quant au droit à la nationalité et aux lois qui touchent au mariage et à la violence domestique, etc., la CNFL présente des projets de loi au Parlement pour faire évoluer la situation en faveur des femmes, notamment pour les droits relatifs au mariage des mineures, à la violence domestique, au droit de donner sa nationalité, etc. Site officiel : www.nclw.org.lb

Les plus lus