Courir avec le cœur

Stéphanie Jabre | 26/03/2018

Sport

Initiative

Il est le 1er Libanais malvoyant à avoir parcouru les 42195 km du marathon de Beyrouth, en novembre dernier. À 31 ans, Rabih al-Jammal réalise son rêve, avec l'aide de sa partenaire Mary Kleyany, athlète professionnelle.

Elle lui a offert ses yeux, et lui, sa passion de courir. Rien ne semblait les réunir : ni leur ville d'origine, ni leur religion. Pourtant, dès leur première rencontre, ils se sont tacitement engagés à aller ensemble jusqu'au bout de leurs rêves.
Rabih al-Jammal perd la vue à 16 ans. La première fois qu'il «regarde» un marathon à la télé en 2003, il se demande s'il pourrait relever ce défi. En octobre 2016, il rencontre Mary Kleyany qui partage sa passion. Elle lui propose de l'aider à courir le parcours professionnel. Leurs entraînements à Beyrouth deviennent alors plus synchronisés, avec pour devise: «Blind with vision». «Rabih court aveuglément avec moi, et surtout avec son cœur, raconte Mary. Après les marathons de Beyrouth, Prague et Chypre, réaliser avec lui son rêve est ma plus belle victoire».

Un mental de résistant
«Courir un marathon, c'est 90% mental et 10% physique, précise Mary. On pouvait compter sur la présence de la famille et des amis. S'entraîner nécessite beaucoup de rigueur, d'engagement et de discipline. Rabih possède toutes ces qualités», avoue Mary. Sa passion et son attente du marathon m'ont motivée à tenir ma parole. J'étais heureuse de le rendre heureux!».
«Une fois l'objectif du marathon fixé, nos entraînements sont devenus réguliers et intensifs, raconte Rabih. Il fallait se lever tôt, se surpasser à chaque rencontre. Courir m'a changé la vie: J'ai arrêté de fumer après 14 ans. J'ai fait la connaissance de nouvelles personnes. J'ai surtout prouvé que les malvoyants peuvent réaliser des exploits et vivre comme tout le monde. Quand on veut, on peut.».

Le jour J
Jusqu'aux 21 km, les deux marathoniens étaient très bien positionnés. Cette étape franchie, Rabih craque mentalement et physiquement.
«Je ne sais pas ce qui m'est arrivé, confie Rabih. Aux entraînements, nous n'avions jamais dépassé les 34 km. Mais mon rêve était de courir le marathon. J'ai pensé aux sacrifices de ma mère pendant la période d'entraînement, au soutien de nos familles et nos amis et surtout au dévouement de Mary. Je savais alors que je ne pourrais pas lâcher et décevoir tout le monde».
«Les 10 derniers km dans un marathon sont un autre défi, précise Mary, il faut redoubler d'efforts pour atteindre la fin. Je redoublais alors d'encouragement pour Rabih. La présence d'une foule de supporters a beaucoup compté. Je n'oublierai jamais ce moment fort, raconte Mary, émue. 500 mètres avant l'arrivée, j'ai spontanément lâché la corde, pour que Rabih dépasse seul la ligne d'arrivée et savoure la victoire dont il a tant rêvé.»

Rêver encore
«Notre rêve était d'atteindre la ligne d'arrivée du marathon 2017. Maintenant on peut espérer arriver parmi les premiers, en 2018, raconte Mary. Rabih a beaucoup de rêves. Je m'engage à lui fournir ma vue pour les réaliser. Notre prochain challenge sera le 8 avril, au marathon de Rome! Rabih sera le premier Libanais malvoyant à y participer dans la catégorie des "special needs". J'espère qu'à l'avenir "Upstreamsports" rassemblera un groupe de marathoniens qui réaliseront aussi leurs plus beaux rêves», conclut Mary.

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