Le littoral menacé : La révolution du sel est lancée !

Maria PASCALIDES | 21/09/2018

Environment

Liban

Non au projet touristique de Ras Anfeh! Non à la disparition des marais salants de la capitale du sel! Hafez Jreij lance «sa révolution du sel». Il propose un contre-projet qui répond aux critères d'aménagement pour un développement durable de la région. Explications.

Les marais salants d'Anfeh sont les dernières salines du littoral libanais et les dernières traces des écosystèmes côtiers qui n'ont pas été détériorés par l'homme. Situés à l'extrême nord de la ville, sur les terres qui appartiennent au couvent de Deir el-Natour, appelées Ras el-Natour ou Ras Anfeh, les marais salants sont menacés de disparition par la construction d'un gigantesque projet touristique comprenant marinas, terrain de golf, restaurants, complexes hôteliers, villas... Ce projet s'étendrait sur près d'un million de mètres carrés. Il occuperait 30000 mètres carrés de plage et récupèrerait près de 40000 mètres carrés de terre sur la mer.

Un projet refusé
«Ce projet ne répond pas aux critères fixés par le Conseil supérieur de l'urbanisme (CSU) pour protéger le littoral d'Anfeh, son caractère unique et son écosystème. Il a donc été refusé à l'unanimité par le CSU», affirme Hafez Jreij qui travaille dans les marais salants et qui est membre du Mouvement écologique libanais.
« La décision du CSU est contraignante, ajoute Hafez Jreij. Le Conseil des ministres est tenu à l'appliquer. Va-t-il le faire ?»
De plus, le Liban s'est engagé sur le plan international à préserver son littoral en ratifiant la convention de Ramsar en mars 1999 et le protocole de Madrid en mai 2014. La convention de Ramsar vise à «la conservation et l'utilisation durable des zones humides, à enrayer leur dégradation ou leur disparition, (...) en reconnaissant leurs fonctions écologiques ainsi que leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative». Le Liban a ainsi inscrit 4 sites sur la liste des zones humides d'importance internationale (Sites Ramsar): Les marécages de Ammiq dans la Békaa, la plage de sable de Tyr, le site de Ras el-Chaqaa à Chekka et l'île des Palmiers à Tripoli.
Quant au protocole de Madrid, il préconise des mesures de protection de la zone côtière notamment, sur le plan de l'aménagement, et de la limitation du développement des agglomérations le long du littoral.

Un patrimoine à préserver
«Il faudrait que les marais salants d'Anfeh soient également inscrits sur la liste des sites Ramsar», revendique Hafez Jreij.
Les marais salants d'Anfeh ne font pas seulement partie du paysage. Ils sont au cœur de la tradition locale de production du sel marin depuis des siècles et sont caractéristiques de l'identité d'Anfeh. Entre les années 60 et 70, la production du sel et en particulier celle de la fleur de sel a été une activité économique lucrative pour des dizaines de familles. La guerre du Liban et l'abolition des taxes sur l'importation du sel étranger ont porté un coup dur à cette activité. Il ne reste plus qu'une vingtaine de familles qui récoltent le sel de mer.
Pourtant, «les marais salants sont le plus bel aménagement conçu par l'homme», affirme Hafez Jreij. Les marais salants sont aménagés sur les rochers. À partir de l'eau de mer, de l'énergie solaire et de la force du vent, le sel est récolté sans polluer la mer. Les salines n'empêchent pas l'accès à la mer à quiconque voudrait nager, elles n'altèrent pas le paysage. Elles n'interrompent pas le linéaire côtier qui est, au Liban, bétonné par une invasion de stations balnéaires. Enfin, les marais salants ne détruisent pas les écosystèmes typiques des zones humides: Ras Anfeh accueille des oiseaux marins et migrateurs car la région est inhabitée. De nombreuses plantes comme le fenouil marin et le myrte y poussent.

Le village libanais
La nécessité de protéger cette portion du littoral et de préserver son héritage culturel, historique, écologique et économique ont poussé Hafez Jreij à lancer sa «Révolution du sel».
Il propose un contre-projet à la frénésie du bétonnage du paysage et à la dilapidation des ressources naturelles. «Le village libanais traditionnel, Anfeh Tour, serait construit sur les terres qui s'étendent au-dessus de la route et de la voie ferrée. Ce village de forme arrondie protégé par une muraille, regrouperait les artisanats libanais: poterie, vannerie, verre soufflé, tissage, fabrication de bateaux, de cloches, fabrication de la mélasse, du miel, du vin, de l'huile, de l'eau de rose... On y trouverait aussi les divers types d'architecture des maisons libanaises qui pourraient servir de maisons d'hôtes, des restaurants et des buvettes où l'on pourra goûter aux spécialités du terroir.»
«Pas de voiture à Anfeh Tour, poursuit Hafez Jreij. Il faudra laisser la sienne au parking aménagé près de la source de la ville d'Anfeh, et continuer la route à pied, à vélo en longeant la voie ferrée ou bien en bus spécialement affrété à cet effet. On pourra venir à Anfeh en bateau en débarquant au vieux port de pêcheurs et prendre une navette pour arriver au village. Quant aux marais salants, ils seront réhabilités pour garder l'identité du site. Les zones humides avec leur flore et leur faune seront ainsi préservées. Un éco musée retracera l'histoire des marais salants et leur fonctionnement. Des visites seraient organisées sur le terrain. Anfeh Tour répondrait aux critères d'un projet pour un développement durable. En effet, il serait respectueux de l'environnement, de la culture et des traditions de la région et du Liban. Il offrirait aussi de nombreux emplois aux habitants de la région ce qui les encouragera à ne pas émigrer.»

Le sel est produit à Anfeh depuis des siècles
Canaux et de bassins anciens, taillés dans les rochers attestent de la présence de marais salants centenaires. Le sel était utilisé principalement pour la conservation des aliments.

À savoir
Avant 1975, la consommation locale de sel au Liban s'élevait à 50000 tonnes de sel par an. 35000 tonnes étaient assurées par les marais salants de Anfeh, le reste était fourni par ceux de Qalamoun, Kfarabida, et de la bourgade de Cheikh Znad au Akkar. Les salines de Ras Anfeh sont aujourd'hui les seules qui fonctionnent de façon traditionnelle.

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