Une école sans devoirs, sans livres et (presque) sans cahiers? Eh oui ça existe! Et de plus, au Liban! Perché sur une petite colline de la région du Akkar au Liban-Nord, entouré de champs de plantations diverses, le collège Akkar offre un enseignement différent des écoles libanaises.
Cette initiative, c'est Dina el-Bab, enseignante et coordinatrice depuis plus de 26 ans dans différentes écoles, notamment au Lycée français Alphonse de Lamartine à Tripoli, qui l'a mise en place. Passionnée par l'enseignement, elle rêvait d'appliquer «la méthode scandinave» qui fait ses preuves depuis plusieurs années dans les pays du Grand Nord. C'est de sa rencontre avec Abir Bodon, directrice du collège Akkar, qu'est née une collaboration fructueuse et bénéfique pour les enfants de la région. C'est un mode d'apprentissage qui consiste à supprimer le matériel pédagogique classique comme les livres dans différents domaines et matières tout en respectant le programme scolaire libanais. Il permet même d'insérer le programme français au sein de l'apprentissage tout au long de l'année. Ainsi, les heures de cours sont vivantes, la classe est interactive et les élèves s'appliquent et s'investissent davantage, se sentant plus libres. Ils gagnent ainsi un vocabulaire plus riche et plus élaboré, une autonomie, de la culture générale mais surtout, ils s'ouvrent à un monde qu'ils auraient difficilement pu connaître de par leur condition sociale.
Comment ça marche?
L'année scolaire est divisée en 5 périodes avec un projet par période. Ces projets portent sur des thèmes qui intéressent l'enfant. Toutes les leçons sont lancées à partir de projections, de sorties, de recherches, d'exposés oraux et de débats. On retrouve par exemple le thème culinaire (les enfants sont amenés à confectionner une recette, une galette des rois cette année, qu'ils partagent ensuite autour d'un goûter); le thème du journalisme (qui a abouti à l'élaboration d'un journal comportant tous les domaines de la presse) ; le thème du spectacle (un retour dans le temps vers les contes traditionnels et des spectacles où tout le monde savoure le plaisir des saynètes et des danses); le thème de l'environnement ou encore le thème du patrimoine libanais avec les proverbes grâce à l'intervention enrichissante de l'auteure franco-libanaise Caroline Torbey. Donner la chance à ces enfants de rencontrer des personnes extérieures à leur cercle restreint ne peut que les enrichir. «J'ai également mis en place une évaluation active surtout en sciences. Là, l'élève est amené à exercer une activité et doit justifier oralement ses résultats développant ainsi son autonomie et sa mise en valeur en réinvestissant tout le vocabulaire qu'il a acquis au cours de la phase d'apprentissage», nous raconte Dina.
Autour des proverbes libanais
«La venue de Caroline Torbey à l'école a fait l'effet d'un véritable ouragan, confie Dina el-Bab. Les enfants attendaient ses ateliers interactifs avec de plus en plus d'impatience... Le but de ces séances était de travailler les traditions orales et l'héritage culturel libanais autour des proverbes libanais, et ce, sur la base de la série d'ouvrages dont Mme Torbey est l'auteure».
Pour sa part, Caroline raconte: «Au départ, j'avais des appréhensions par rapport à la langue... J'avais peur de ne pas être bien comprise par les élèves. Que le décalage linguistique avec les élèves de la "ville" soit trop important. Mais j'ai très vite constaté la vivacité d'esprit de ces enfants issus de milieux défavorisés. Cela m'a motivée à poursuivre mon atelier entièrement en français». Le fait de rencontrer une personne étrangère à leur milieu habituel stimule leur curiosité et leur esprit et les fait rêver. À l'issue du projet basé sur la série de livres Dessine-moi un proverbe, les enfants ont pu écrire des histoires avec leur propre vécu. «C'était d'une émouvante tristesse pour quelques-unes des histoires, et d'une poignante réalité pour d'autres! continue Caroline. Par exemple, à partir du proverbe "Laisse tes piastres blanches pour tes jours noirs", les élèves ont mis en scène une histoire d'emprunt d'argent avec intérêts à des voisins dans leur village, situation à laquelle sont confrontés leurs propres parents. Car il leur est souvent "difficile de finir les fins de mois".» L'auteure pointe du doigt la motivation et la volonté à l'effort sans faille de ces élèves qui ne demandent qu'une seule chose: apprendre.
Et le franbanais dans tout ça?
Les ateliers étaient évidemment ponctués de «franbanais», ces fameuses expressions libanaises ou mots arabes insérés dans la langue française qui lui donnent une touche originale et typique. Les enfants s'amusaient tout en apprenant, et ils arrivaient à construire des phrases incroyablement cohérentes grâce à cette méthode! Allant de la définition des personnages aux règles d'écriture d'une introduction, des péripéties du dénouement de l'histoire à sa fin, les productions de ces élèves en regroupent toutes les ficelles, alternant les phases orales et écrites et fournissant un vocabulaire riche et nouveau qui s'ajoute à la banque déjà connue par les enfants.
«Suite au passage de Caroline, quel plaisir de voir les élèves utiliser ses expressions, les mots appris et surtout le franbanais dans leurs échanges. Un projet à reconduire encore une fois, voire plusieurs fois», termine Dina el-Bab.
Le collège Akkar
C'est en 2011 que le collège Akkar ouvre ses portes dans une région pauvre du Akkar. Il compte aujourd'hui près de 1300 élèves et une équipe pédagogique composée de professionnels de l'enseignement, pour la plupart issus de la région du Liban-Nord. Compte tenu de la situation économique de la région, les frais de scolarité sont dérisoires et permettent à des enfants issus de milieux défavorisés d'avoir accès à ce droit humain fondamental qu'est l'éducation. «Nous sommes très fiers de notre slogan "Élèves aujourd'hui, innovateurs demain"», confie Abir Bodon.