Un métier disparu : la pêche à l’éponge

Patricia ANTAKI-MASSON | 27/09/2019

Patrimoine

Dossier

Ses traces ne subsistent plus que dans la mémoire d'une poignée de pêcheurs de la côte libanaise. Et pourtant, la pêche à l'éponge a longtemps été une pratique florissante dans des villes telles que Batroun et Tripoli. Immersion au cœur de cette activité marine, hélas reléguée aux oubliettes.

Si l'éponge est employée depuis l'Antiquité, c'est surtout au XIXe siècle que la pêche de ce produit se répand en Méditerranée, depuis la Grèce jusqu'au littoral africain en passant par la côte levantine. Parmi les éponges les plus réputées figurent alors celles de la côte syro-libanaise, notamment celles trouvées entre Lattaquié et Batroun. Au Liban, c'est Tripoli et Batroun qui offrent les éponges les plus prisées, mais d'autres ports secondaires comme Jbeil, Sarafand ou Tyr ne sont pas en reste.
Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que cette activité voit le jour dans nos eaux pour culminer tout au long du XIXe siècle et perdurer jusqu'à la moitié du XXe siècle, voire jusqu'à la guerre civile dans certains lieux comme Batroun. Hélas, l'exploitation intensive de cette manne, la pollution et l'apparition de ses concurrents synthétiques ont eu raison d'elle.

Une bête atypique
Longtemps classées dans le règne végétal, les éponges sont aujourd'hui considérées comme des animaux marins sessiles (fixés au substrat) et vivant en colonie. Ce sont les métazoaires (animaux pluricellulaires) les plus simples de tous, en forme de sacs creusés de cavités parcourues par l'eau, dotés d'un système nerveux primitif et dépourvus d'appareil génital, respiratoire et excréteur. C'est leur squelette que l'homme utilise en raison de sa capacité à absorber les liquides.

Des pêcheurs locaux et grecs
Durant l'âge d'or de cette activité, des Grecs qui excellaient également dans l'art de la pêche à l'éponge se joignaient aux pêcheurs locaux. On pouvait ainsi admirer tous les ans, de mai à septembre, dans les ports les plus fréquentés, environ 300 barques arabes et grecques avec, à bord, une multitude de plongeurs.

Au fond de l'eau
Les bateaux, montés par quatre ou cinq hommes, allaient chercher leur butin à deux ou trois kilomètres au large. Les pêcheurs plongeaient huit à dix fois par jour et rapportaient à chaque fois de six à dix éponges. Pour extraire les éponges de leur substrat, les pêcheurs se munissaient soit d'un harpon pour les moins profondes, soit d'un couteau (ou à mains nues) pour détacher délicatement les meilleures qui gisaient à environ douze à vingt brasses de profondeur. La plongée en apnée resta longtemps la règle jusqu'à l'apparition du scaphandre dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le danger principal auquel étaient confrontés les plongeurs était les attaques de requins.
À la sortie de l'eau, on nettoyait les éponges à l'eau de mer et à l'eau douce pour les dépouiller de toutes les impuretés, puis on les piétinait pendant des heures. Ensuite, pour les sécher, il suffisait de les étaler au soleil.

Au marché
Jadis, sur les marchés, les éponges étaient aussi bien vendues aux autochones qu'exportées vers l'Europe. Sur les 21 espèces répertoriées dans les eaux libanaises, trois d'entre elles se distinguaient, notamment celles appelées «éponges douces», réputées d'une extrême finesse, et les préférées des Français. Ce produit abondait notamment sur le marché de Tripoli qui, dès 1832, fut doté d'un établissement considérable destiné à cette activité qui fournissait un à deux cargos par an, ce qui représentait environ 4000 oques (une oque=1,2 kg), soit environ 4000 éponges. À cette époque, l'oque d'éponges fines s'achetait à 50 ou 60 piastres et l'oque d'éponges plus grossières, les chimousses et les venises, à 10 ou 12 piastres. Les éponges pêchées au trident se vendaient 30 fois moins cher que celles extraites des profondeurs. Celles jetées sur la côte appartenaient évidemment à ceux qui les ramassaient.

Usages variés et curieux
Depuis toujours, l'éponge de mer est principalement utilisée comme ustensile de toilette, estimée pour ses qualités intrinsèques, telles sa porosité, sa plasticité et sa douceur.
Mais elle a également servi au fil des siècles à de multiples usages d'ordre domestique, thérapeutique ou artisanal, au sein d'ateliers de peinture, de porcelaine, de corroierie ou de lithographie. En outre, on la retrouve dans certains usages singuliers, comme bouchon de poteries, genouillère des soldats romains, sucette imbibée de miel ou même contraceptif.

Une pittoresque commémoration
Tous les ans, vers fin juin, la ville de Batroun rend un vibrant hommage aux pêcheurs d'éponges et de poissons ayant péri en mer. Une messe est célébrée à bord d'une barque et s'achève par le jet d'une couronne de fleurs à la mer, à la mémoire de ceux qui contribuèrent un jour à la gloire du lieu.

Une éponge écolo, idéale pour la peau
L'éponge naturelle est très absorbante et très moussante. Elle est aussi d'une grande douceur et est recommandée pour tous les types de peau, même les plus sensibles. Elle contient des minéraux qui nourrissent la peau et joue le rôle d'exfoliant permettant de débarrasser le visage de ses impuretés.

 

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