Sur les traces de l’ours au Liban

Patricia ANTAKI-MASSON | 30/01/2020

Patrimoine

Animaux

Aperçu il y a un mois à la frontière libano-syrienne, l'ours, aujourd'hui disparu du Liban, y a pourtant toujours vécu.

L'ours est un animal merveilleux. À la naissance, c'est une petite boule aveugle sans poils. À quelques mois, c'est un ourson joueur et à l'âge adulte il devient impressionnant, pouvant atteindre 2,80m lorsqu'il est debout. C'est toutefois son caractère redoutable et féroce qui a de tout temps impressionné l'homme, ainsi est-il représenté dans la Bible. Au Liban, il existe depuis la Préhistoire et n'a disparu qu'au milieu du XXe siècle, au fur et à mesure que son habitat se réduisait et que l'homme continuait de le chasser, notamment pour sa chair et sa fourrure.

L'ours brun de Syrie
Les ours forment la famille de mammifères des ursidés qui se divise en huit espèces réparties sur trois continents (Amérique, Europe et Asie). L'ours de nos contrées est l'ours brun, et appartient plus précisément à la sous-espèce de l'ours brun de Syrie, appelée scientifiquement «ursus arctos syriacus», plus petite et de couleur plus claire que celle d'Europe.
Cet ours vit dans les chaînes montagneuses, recouvertes de forêts, du Moyen-Orient, principalement en Turquie, en Syrie, en Irak, en Géorgie, en Arménie, en Azerbaïdjan, en Iran, au Turkménistan, en Afghanistan et au Pakistan. Auparavant, il vivait également au Liban, en Palestine et en Jordanie.
L'ours vit ordinairement en solitaire. Il est généralement diurne, mais peut aussi être actif la nuit avec, comme activité principale, la recherche de nourriture, composée de plantes et de fruits mais aussi de petits mammifères et de poissons. En été et en automne, il emmagasine des réserves de graisse pour pouvoir hiberner. Il est doté d'un excellent odorat et, malgré sa corpulence, il peut courir rapidement, grimper sur les arbres et nager dans les rivières.

Des ossements aux époques les plus reculées
L'ours vivait au Liban depuis au moins 50000 ans. Ses ossements ont été déterrés lors de fouilles archéologiques dans des grottes de la région de Tripoli et de la vallée de la Qadicha. Au troisième millénaire avant notre ère, c'est à Jbeil, à Saïda et à Kamid el-Loz dans la Békaa que les archéologues ont pu constater sa présence.

Sur des tableaux de chasse hellénistiques
Il n'est pas surprenant de rencontrer l'ours dans des scènes de chasse figurant sur d'anciens monuments. Deux d'entre eux, d'époque hellénistique (IVe-Ier s. avant notre ère), nous le dévoilent. Au Hermel, sur la tour-mausolée solitaire dite Qamouh el-Hermel, parmi les différentes scènes de chasse représentées comprenant gazelles, cerfs et sangliers, on peut en effet apercevoir sur l'une des faces une ourse et ses oursons, l'un, debout, sur ses pattes arrières, exécutant une danse et l'autre léchant sa patte endolorie. Sur les hauteurs de Ghineh dans le Kesrouan, à l'emplacement dit de la tombe d'Adonis, un sculpteur a gravé sur un rocher un chasseur vêtu d'une tunique courte enfonçant un épieu dans la poitrine d'un ours impressionnant qui l'attaque. Il s'agirait selon toute vraisemblance de la représentation d'un épisode de la légende du célèbre dieu Adonis de Byblos, parti chasser les bêtes sauvages.

Sur des mosaïques byzantines et romaines
L'image de l'ours apparaît fréquemment sur les mosaïques qui ornaient les riches villas et les nombreuses églises byzantines. À nouveau, cette bête figure dans des scènes de chasse comme sur les mosaïques de Jiyeh exposées au musée de Beit el-Dine ou sur celle de l'église Saint Christophe trouvée près du site de Qabr Hiram, non loin de Tyr, qui se contemple au musée du Louvre. Mais on le rencontre aussi dans des scènes représentant le Paradis, idéalement peuplé d'animaux sauvages et domestiques vivant en bonne entente les uns aux côtés des autres. Ainsi, sur la mosaïque du Bon Pasteur exposée au Musée national, sur celle de Zahrani au jardin des Jésuites à Jeitawi, sur celle de Khaldé devant le Musée national, sur celle de Ouzaï à Beit el-Dine, et sur une autre de Ouzaï également, plus difficile d'accès, embellissant un mur du palais présidentiel à Baabda.

Dans les récits de voyageurs du XIXe siècle
La présence des ours dans les montagnes libanaises est citée à maintes reprises par les voyageurs qui l'ont aperçu ou en ont entendu parler aux XVIIIe et XIXe siècles. Ils sont ainsi attestés sur les hauteurs du Mont Hermon par William M. Thomson, dans la région de Hasbaya par Ulric J. Seetzen, sur les falaises surplombant le Litani par Henry B. Tristram. Jean de la Roque craint d'en rencontrer dans la Qadicha où ils sont connus pour se désaltérer la nuit dans la rivière. Ernest Louet relate comment deux ours acccompagnés d'une hyène et de trois gazelles avaient été «pris dans les gorges du Liban pendant les neiges de l'hiver» et étaient embarqués sur un bateau pour être donnés au Jardin des Plantes de Paris. En 1828, deux zoologistes allemands, Emprich et Ehrenberg, le repèrent sur le mont Makmel et créent la sous-espèce de l'ours brun syrien. En véritables scientifiques, ils étudient un spécimen tué près de Bcharré, le dessinent, le dissèquent, l'étudient et même le goûtent ! Ils notent que sa peau est vendue ainsi que son crottin pour soigner des maladies d'yeux.

Les montreurs d'ours
Il y a un siècle, il n'était pas rare de rencontrer sur les places publiques libanaises des ours réalisant des tours d'adresse, fascinant le public. Exhibés et entraînés par des montreurs d'ours au prix d'un mode de vie qui leur était totalement inadapté, ces ours danseurs ont heureusement disparu aujourd'hui. Ils ont été remplacés par les ours dans les cirques, une pratique à combattre absolument.

La légende de l'ours d'Ehmej
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le prince Youssef Chéhab avait l'habitude de célébrer, le 19 mars de chaque année, la fête de son saint patron, Saint Joseph. Parmi les spectacles offerts par les villageois, certains mettaient en scène des ours. Quelle ne fut la surprise du prince lorsque les habitants du village d'Ehmej lui présentèrent un ours lisant un livre et, qui plus est, en syriaque. Le secret fut vite révélé : le dresseur de l'ours avait en effet pris le soin de placer entre les pages du livre des grains de raisin que l'ours prenait plaisir à chercher. Ce jour-là, une expression locale vit le jour: «Tous les ours ont dansé sauf l'ours d'Ehmej».

Derniers spécimens
Les derniers représentants de l'ours au Liban auraient été abattus l'un en 1943 à Ehmej et l'autre dans les années 1950 dans la région de Bcharré. Depuis, cette espèce est considérée comme étant officiellement éteinte au Liban. Toutefois, trois ours ont été aperçus récemment dans la Békaa à la frontière avec la Syrie: une mère et son ourson en décembre 2016 et un ourson en décembre dernier. Ils étaient sans doute «de passage» sur nos terres en provenance de la Syrie où vivent encore quelques individus, en particulier sur le Mont Hermon où l'espèce est protégée depuis 1969.
Rencontre avec des ours
Dans le village d'Aley, le centre de conservation de la vie sauvage, Animal Encounter, abrite deux magnifiques ours. Il s'agit d'un mâle de 22 ans et d'une femelle de 16 ans, recueillis en 1993 suite à leur abandon par un cirque. N'hésitez pas à aller les visiter: vous aurez le bonheur d'y découvrir d'autres animaux sauvages tels des hyènes, des coyotes, des loups ou des oiseaux.

À la rescousse des ours
Selon Animals Lebanon, l'organisation de protection des animaux, au moins huit ours se trouvant en captivité dans des zoos privés et sans doute chez des particuliers souffrent hélas de graves problèmes de santé en raison de conditions de vie inadaptées, voire de malnutrition et de manque de soins médicaux. En 2009, l'association a pu transférer deux ours en Turquie et récemment, deux autres ont été soignés sur place avec l'aide de l'équipe suisse «Quatre pattes».

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