Quand une passion sauve la vie

Stéphanie Jabre | 04/02/2020

Actu Ados

Portrait

À 25 ans, Chimène Zouki, graphic designer et illustratrice, réalise sa 1re exposition de «Line Art », à travers laquelle elle se dévoile. Rencontre avec une artiste au parcours atypique.

Rien ne destinait Chimène Zouki au succès. Du moins c'est ce que ses parents pensaient. Elle-même se
forgeait par conséquent une image très négative de ses capacités. « Je suis dyslexique, raconte Chimène.
J'ai passé mon adolescence à subir des échecs scolaires et à vivre dans la peur de la réaction de mes parents. Je stressais continuellement dans l'attente de mes résultats scolaires. Je fournissais beaucoup d'efforts pour étudier, mais en vain. Je n'arrivais pas à écrire correctement afin de répondre
aux questions. Mon père m'en voulait et comme tous les parents, à la vue d'un 7 ou 8 de moyenne, me disait que je ne serai bonne à rien. Ma mère m'a facilité la tâche en me faisant suivre des sessions chez une orthophoniste. J'étais en classe de 6e. C'est grâce à elle que, quelque temps plus tard, j'ai
découvert que j'étais "bonne à quelque chose". Je m'y suis accrochée ».

Le déclic

C'est en séance d'orthophonie que Chimène découvre son don, le dessin, qui va devenir sa passion. Un exercice lui est donné : transformer un paragraphe en BD. Elle le fait avec tellement de maîtrise et de facilité que l'orthophoniste est émerveillée. « Comment une fille de 12 ans qui ne peut formuler une simple phrase à l'oral ou à l'écrit pour exprimer ses idées, a pu réaliser une BD si claire avec une histoire entre différents personnages ? Tu as beaucoup de talent ! m'a-t-elle dit », explique Chimène. C'est elle qui a
annoncé à la mère que sa fille dessinait merveilleusement bien. « Ce talent que je découvrais, c'est comme une fenêtre qui s'ouvrait, un fil auquel je décidais de m'y accrocher. Je faisais alors des recherches à ce sujet, dessinais tout le temps, même en classe quand je m'ennuyais ou n'arrivais plus à suivre ». Arrivée par miracle en classe de 3e, une nouvelle impasse surgissait : le brevet officiel.
C'est mon prof de cours particulier qui suggère à ma mère une issue : l'école technique. Ma mère qui avait peur que j'échoue à l'examen officiel, m'a indiqué les options qui s'offraient à moi. Je l'apprécie beaucoup pour cela. Elle m'a toujours donné la liberté de choisir. Je n'ai pas réussi le brevet. J'ai opté pour un parcours technique en « Graphic design », confie la jeune fille.
Contre toute attente, Chimène s'épanouit à l'école technique et devient parmi les 1ers de sa classe. Ses parents n'en revenaient pas : Comment leur enfant qui n'obtenait pas sa moyenne à l'école pouvait si bien réussir ? Pour Chimène, la réponse est simple : elle faisait ce qu'elle aimait : dessiner ! Elle réussit avec brio sa terminale, avec un bagage solide en typographie, perspective, dessin artistique, poster design, des matières qui seront pour elle un atout essentiel pour son parcours universitaire. Aujourd'hui, Chimène réalise avec soulagement que le parcours académique n'influence pas toujours le parcours professionnel d'une personne. Elle en est le parfait exemple.

Suivre son étoile

À la faculté des Beaux-Arts de l'Université libanaise, Chimène réussit le concours d'entrée auquel se sont présentés 300 candidats. Parmi les 20 étudiants sélectionnés, Chimène est classée 3e ! Après son master en Graphic design, elle décroche de petits boulots dans une maison d'édition pour illustrer des livres éducatifs. Actuellement, elle est « social media designer » dans une compagnie.
« J'ai participé à des workhops au Mexique, en Inde et au Japon dont j'ai adoré la culture. Parallèlement à mon travail fixe, nécessaire au Liban, je continue à dessiner librement et à travailler en free lancer, afin d'approfondir ma maîtrise en illustration. J'ai toujours eu un sketchbook qui rassemble tous mes dessins : des cartoons au style humoristique, jovial, plein de couleurs. Je les publiais en ligne et même ainsi que des mangas qui m'ont obsédée pendant un moment. Quand j'ai acheté mon chat Yuki, il est devenu ma principale source d'inspiration. Je lui ai même créé une collection d'autocollants qui ont été appréciés et bien vendus. Je commençais donc dès ma 2e année de fac à me faire connaître comme l'illustratrice qui a un chat », affirme Chimène.

«Thick and Thin»: sa première exposition

« Je n'aurais jamais cru que j'exposerai un jour mes illustrations au grand public, avoue Chimène Zouki. Au début, j'étais très hésitante surtout que mes illustrations n'étaient jamais personnelles ou sentimentales mais plutôt des cartoons amusants. La collection que j'ai dévoilée regroupe 12 sketches réalisés d'un trait, sans couleurs et sans retouches. Pourquoi Thick and Thin ? Parce que quand je suis en colère ou angoissée, je dessine avec une ligne épaisse Thick et quand je suis apaisée et que j'ai réussi à gérer mes émotions, la ligne devient plus fine Thin. Cette collection a donc été pour moi une sorte de thérapie pour mieux me comprendre : chaque illustration représente une expérience personnelle d'amour, de déception, d'angoisse, de colère ou de peur. La réaction du public était intéressante et m'a énormément encouragée : chacun se reconnaissait dans tel ou tel dessin, selon la situation ou l'émotion qu'il vivait. »

« Yara Adada a transcrit en vers les idées que j'exprimais visuellement. Ses poèmes étaient accrochés à côté de chaque illustration. Et c'est Theresa Abi Rached qui en a achevé l'exécution sur un support Thread on Fabric, c'est-à-dire que les dessins sont brodés. Mes parents m'ont également aidée à la réalisation technique de l'expo et cela nous a rapprochés. Je rêve d'obtenir une bourse pour le Japon afin de me spécialiser davantage en illustration, de m'épanouir et me démarquer des autres. Étant dyslexique, le dessin est le seul moyen pour moi d'exprimer ce qui me passe au coeur ou à l'esprit. Certains écrivent des poèmes, d'autres chantent ou dansent, moi je dessine », rappelle Chimène.

Son message aux jeunes

« Act on the thing that you love, lance Chimène. Faire ce que l'on aime. C'est ce qui vous motivera, vous mènera loin et vous permettra de réussir votre vie. J'espère être une motivation pour tous les jeunes qui subissent un échec scolaire. C'est en découvrant ma passion pour le dessin que j'ai changé. Regardez au plus profond de vos émotions et écoutez votre coeur : on me dit souvent que les émotions ne mènent à nulle part. J'ai envie de prouver le contraire, de rester moi-même et de m'accrocher à ce que j'aime », conclut fièrement Chimène.

* Pour suivre Chimène, Instagram : Chimène Zouki.

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