«Play in her shoes»

Stéphanie Jabre | 27/02/2020

Sport

Dossier

Lutter contre la discrimination envers la femme, mettre en lumière sa vraie valeur et renforcer le sport féminin au Liban, telles sont les causes pour lesquelles milite Mona Yaacoub.

Depuis qu'elle était à l'école, Mona Yaacoub écrivait dans ses rédactions qu'elle voulait devenir journaliste et changer le monde. À 26 ans, cette jeune femme a déjà concrétisé son rêve: elle est journaliste, athlète professionnelle et surtout féministe. Très jeune, Mona était déjà sensible à l'intimidation que pouvait subir une fille de la part des garçons, parce qu'elle était tout simplement une fille. Elle-même sujette à des moqueries, à cause de sa taille, son poids et son penchant pour le basket qui, aux yeux de ses proches, n'est point «féminin» et «fait pour les garçons», elle lutte pour mériter sa place dans ce milieu et changer les faux préjugés et les mentalités sexistes de la société. «Je me suis toujours intéressée à tout ce qui touche à la condition de la femme et ses droits, raconte Mona Yaacoub. Je me suis alors engagée avec l'association Female qui œuvre pour changer l'image et les stéréotypes que l'on se fait de la femme dans les médias et les publicités, où la femme est chosifiée ou exploitée pour pousser à la consommation. Je suis devenue donc activiste avec Female réalisant des reportages sur la violence à l'égard des femmes par exemple, et sur d'autres problématiques sociales qui affaiblissent socialement la femme. Ma passion pour le basket m'a poussée à également devenir volontaire dans l'association Game dédiée au sport urbain: on s'activait à créer des zones de sport dans les banlieues où l'entraînement au foot, basket et breakdance serait gratuit pour tous les passionnés de sport qui n'ont pas les moyens de louer des terrains. Nous avons alors pu grâce à Game faciliter l'accès au sport à tous, à être des coachs et à organiser des tournois de streetball. Dans toutes nos actions, je tenais à intégrer le plus grand nombre de filles possible, réussissant à atteindre un taux de 60% de participation féminine», souligne fièrement Mona.

Le parcours d'une battante
À 14 ans, à l'âge où les adolescentes lâchent le sport, elle découvre sa passion: devenir basketteuse professionnelle de 1re division. Elle s'accroche à son rêve et commence à faire attention à sa ligne, se met à courir, à se rendre dans les salles de gym, et adopte un mode de vie plus sain. Ayant découvert que son père participe aux sports de lutte, elle s'intéresse à son tour au «Wrestling», et remporte même une compétition sans oser l'avouer à ses parents. «J'ai beaucoup appris de la lutte, explique Mona, je devenais plus agressive physiquement et osait me surpasser. Mais si je voulais réaliser mon rêve, je devais me consacrer entièrement au basket», avoue Mona.
Ce n'est qu'à 23 ans, alors qu'elle termine son master en journalisme, et qu'elle est déjà engagée dans Female et Game, qu'elle prend contact avec Alain Saab qui deviendra son coach personnel. Il lui lance un défi de 3 ans pour être professionnelle, elle le relèvera en 2 ans. «J'ai commencé d'abord à m'entraîner 3 fois par semaine jusqu'à arriver à 3 fois par jour, admet Mona. Je jonglais entre l'université et mes entraînements puis entre mon travail de journaliste à LBC et les exigences du sport. C'était dur et intensif. Cela m'a coûté sacrifices et frais: il fallait que je travaille pour payer mes entraînements. Mes efforts et ma détermination ont payé: j'ai joué en 2e division puis en 1re avec les équipes de Jamhour et Antranik, remportant les tournois auxquels je participais. Si j'avais écouté ceux qui m'avaient dit que je ne pourrais pas jouer comme les garçons parce que je suis inférieure à eux, que je serais intimidée, blessée physiquement, ou considérée comme dernière option pour participer à un match, je n'y serai jamais arrivée. Personne ne comprenait le bonheur que j'éprouvais en étant sur un terrain et la confiance que je gagnais. Cette mentalité m'a mis une forte pression mais elle m'a poussée à prouver à tout le monde que j'étais à la hauteur de l'exploit réalisé», confie Mona.

«Play in her shoes»
Il y a un an, Mona est choisie pour participer à la 4e édition du «Youth Leadership Program» (YLP) organisée par le PNUD. Son expérience d'activiste féministe et sa «souffrance» pour devenir joueuse de 1re division de basket lui ont montré les failles qui existent entre le journalisme et le sport féminin qui n'occupe que 4% des médias au niveau mondial. Le projet qu'elle présente et qui retient l'attention du jury est «Play in her shoes»: une plateforme qu'elle dédierait uniquement aux nouvelles de la femme sportive. Elle montre que les sportifs hommes touchent des sommes plus élevées que les femmes, que leurs matchs sont retransmis à la télé contrairement à ceux des femmes et qu'ils sont considérés comme les seuls modèles à suivre. Le programme qu'elle intègre lui fournit les outils utiles pour exécuter son plan. Elle représentera également le Liban en Tunisie et participera avec d'autres gagnants des pays arabes du «YLP» à des ateliers qui l'aideront à devenir un «business model» et une entrepreneure sociale au service de sa communauté.
«La plateforme "Play in her shoes" aura plusieurs objectifs, explique Mona: diffuser des informations sur le sport féminin, faciliter à toute sportive de trouver un terrain gratuit où elle peut s'entraîner dans sa région et entrer en contact avec un coach professionnel. Les sportives pourront même se procurer des habits de sport qui leur ressemblent alors que tout tend à être conçu pour les hommes. D'ailleurs, j'ai créé ma propre ligne de chaussettes qui portent également le slogan "Play in her shoes" afin de promouvoir un message motivant à celles qui se battent. Ces chaussettes ont reçu un énorme succès et sont vendues en ligne. En attendant la réalisation technique de cette application, j'ai créé un compte Instagram du même nom et organisé le 1er tournoi de basket consacré aux filles et parrainé par de nombreux sponsors dont Female. 20 équipes y ont participé et ont prouvé que ce sont nos compétences qui déterminent notre vraie valeur et non notre sexe. Quand une jeune de 14 ans que j'ai coachée me dit: "Tu nous as montré ce qu'une femme peut faire et ce qu'une femme peut être", je ne peux qu'être émue et motivée à continuer», conclut Mona.

* Instagram: Play in her shoes.

 

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