E-cigarette : une nouvelle «épidémie»?

Stéphanie Jabre | 04/06/2020

Actu Ados

Dossier

Le boom de vente de cigarettes électroniques ou e-cigarettes auprès des adolescents et jeunes adultes, qui n'avaient jamais fumé, inquiète les experts en santé publique qui craignent une nouvelle forme d'addiction.

Elles sont attractives, hautes en couleur, en saveurs, assimilables à un marqueur, un crayon ou une clé USB rechargeable sur ordinateur: les vapoteuses sont le nouvel accessoire «trendy», de plus en plus populaire auprès de la jeune génération. «Elles sont discrètes, petites et faciles à transporter et à cacher!», explique un jeune «vapoteur». «On a la sensation de la nicotine, sans sentir mauvais. Au contraire, ça sent bon», précise un fumeur adulte. «Vapoter n'est pas fumer et c'est beaucoup plus discret», ajoute un défenseur de la e-cigarette. En effet, les nouvelles cigarettes électroniques produisent beaucoup moins de vapeur et ne retiennent aucune odeur. Les e-cigarettes sont de plusieurs marques, mais c'est «Juul» qui fait un tabac devenant ainsi la cigarette électronique la plus vendue pour tous les âges, et occupant les trois-quarts du marché. Le succès fulgurant de cette vapoteuse commercialisée partout dans le monde selon un dosage de recharge différent et un usage médical ou non médical, donne même naissance à un nom désignant les vapoteurs de la Juul: «les Juuleurs».

De plus en plus de jeunes vapoteurs
Au Liban, des marques telles que Iqos, Vaporesso, Smok, etc. sont vendues en ligne, dans certains points de vente, ou au Duty Free de l'aéroport de Beyrouth. Cependant, pour se procurer les «vraies» Juul, il faut en commander à un ami en voyage, ou s'en approvisionner lors d'un séjour à l'étranger. Les prix des vapoteuses et leurs produits de recharge sont beaucoup plus élevés que ceux vendus en Europe.
Néanmoins, l'OMS et les experts de la santé mettent en garde contre une nouvelle forme de dépendance à la nicotine et annoncent des conséquences sur le comportement addictif des adolescents mais aussi des conséquences pour leur santé: des études montrent que le vapotage est lié à de graves maladies respiratoires. De plus, l'utilisation précoce de la cigarette électronique est liée à un risque ultérieur de fumer et une addiction au tabagisme, entraînant des difficultés à arrêter de fumer.
Si les lois sur le tabac et les produits du vapotage varient d'un pays à l'autre, les grandes puissances s'accordent à affirmer que le nombre de jeunes qui vapotent dès l'âge de 12 ans a triplé ces cinq dernières années. Une étude réalisée par l'Université du Michigan et publiée dans la revue spécialisée American Journal of Public Health, a poussé le directeur du Service de santé publique des États-Unis à parler même d'épidémie. Des études polonaises et canadiennes ont abouti à la même conclusion: dans les lycées et les collèges, beaucoup d'élèves ont déjà essayé le vapotage.
Ce phénomène de consommation de la cigarette électronique en hausse étant de plus en plus visible chez les jeunes, il n'est donc pas étonnant que l'OMS ait choisi pour la prochaine Journée mondiale sans tabac, célébrée le 31 mai 2020, ce thème principal: «Protéger les jeunes contre les manipulations de l'industrie et les empêcher de consommer du tabac et de la nicotine». Selon les données de 2015, 17% des jeunes de 15 à 24 ans fument dans le monde. Le tabac entraîne 7 millions de morts prématurées chaque année. Protéger les jeunes est donc un défi pour les responsables de la lutte antitabac dans les pays. En promouvant la cigarette électronique fortement dosée en nicotine, auprès des jeunes, l'industrie promeut ainsi consciemment une nouvelle forme de dépendance qui serait une passerelle vers un tabagisme mortel.

La Juul: un piège pour les jeunes?
Il n'est point de secret: un jeune qui commence à fumer et à vapoter avant l'âge de 20 ans est plus vulnérable à devenir accro à la cigarette et moins capable de contrôler son tabagisme à l'avenir. Pour les distributeurs de la cigarette électronique, notamment «Juul» commercialisée par la société américaine Pax Labs, les jeunes sont donc la 1re cible des campagnes de marketing menées sur Instagram, Facebook, Twitter, Snapchat, YouTube, réseaux très fréquentés par les adolescents et les jeunes adultes, d'où l'engouement de ces derniers, qui ne peuvent se douter du piège de la dépendance quand le produit vante ses saveurs aromatiques fruitées au goût de mangue, de vanille, ou de crème brûlée, ainsi que son manque d'odeur et de vapeur, et sa discrétion. D'ailleurs, de nombreuses vidéos circulent afin de partager des techniques de vapotage furtif ou «stealth vaping», à l'école par exemple. Tout y est pour plaire aux jeunes et leur donner envie d'y «goûter», comme un fruit défendu.
Or, les «pods» de la Juul sont des recharges très riches en nicotine qu'on aspire comme une cigarette traditionnelle. Elles peuvent contenir jusqu'à 59mg par ml de nicotine. C'est l'équivalent d'un paquet de cigarettes traditionnelles, sous la forme de sels de nicotine, d'où la substitution à la cigarette traditionnelle avec moins d'acides et de vapeur. Les scientifiques et tabacologues affirment qu'après une bouffée de vapeur de la Juul, les concentrations de nicotine dans le sang mesurées sont semblables à celles atteintes avec une cigarette traditionnelle et supérieures à des concentrations après une bouffée de vapeur d'autres cigarettes électroniques.

Le cri d'alarme de l'OMS
Dans son rapport publié le 26 juillet dernier, l'OMS tranche sur la polémique suscitée autour de la consommation de la cigarette électronique affirmant qu'elle est «incontestablement nocive». L'impact des e-cigarettes sur la santé fait l'objet de nombreuses études en cours, et de nombreux débats, vu qu'elle est apparue sur le marché il y a moins de 10 ans. En effet, les fumeurs devenus vapoteurs n'ont pas réussi à se servir de ce produit comme outil de sevrage à la cigarette traditionnelle. Tout fumeur interrogé répondrait qu'une cigarette électronique ne lui procure pas la même sensation qu'une cigarette combustible, ce qui le pousserait très vite à laisser tomber sa vapoteuse plutôt que sa cigarette. D'où l'incapacité de relever un impact positif. D'ailleurs, une étude affirme que les vapoteurs sont bien plus nombreux à souffrir de maladies cardiaques, de maladies artérielles, et de dépression, que les non-vapoteurs.
Les partisans de la cigarette électronique affirment qu'elle est beaucoup moins nocive que la cigarette classique, en raison de l'absence de combustion qui génère les gaz toxiques. Elle est remplacée par le chauffage d'une résistance qui va produire de la vapeur et non de la fumée.
Or, le chauffage de ces liquides de vapotage contenant des ingrédients tels que le propylène glycol, le glycérol et autres concentrations de nicotine provoque lui aussi des réactions et crée de nouveaux produits chimiques dangereux. L'inhalation à long terme de toutes ces substances chimiques chauffées nuit également à la santé et l'évaluation de leurs effets sur le corps est en cours d'étude.
Quels dangers sanitaires pour les jeunes ? Le nombre croissant de jeunes qui vapotent sur une base régulière vont développer une dépendance à la nicotine présente dans la cigarette électronique. Par conséquent, cette consommation de nicotine chez les jeunes peut altérer leur développement cérébral, entraîner des problèmes de concentration, d'apprentissage, de mémoire et augmenter leur impulsivité et anxiété. Les produits de vapotage peuvent aussi être une porte d'entrée à la consommation d'autres substances telle que le cannabis.

Cigarette électronique et coronavirus
Le Comité National contre le Tabagisme en France a affirmé que la vapeur dégagée par les vapoteuses, tout comme la fumée des cigarettes, sont un vecteur de transmission par vapotage passif. Ainsi, les particules présentes dans la vapeur exhalée par les vapoteurs atteints du coronavirus, sont virales et peuvent contaminer la famille ou l'entourage. Pour protéger les autres, il est recommandé de ne pas fumer ou vapoter dans un lieu clos et de respecter une distance de 10 mètres entre le fumeur et le non-fumeur pour empêcher ce dernier d'inhaler les particules exhalées par la vapoteuse, ou par la toux fréquente du vapoteur. Ces particules peuvent non seulement rester dans l'air, mais également se déposer partout dans un logement et sur n'importe quelle surface (meubles, tapis, vêtements) la rendant ainsi infectieuse.

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