2010/12 Enfants de la rue : choix ou fatalité ?

20/12/2010

Liban Société & Culture

enfants_rue_site.jpgLe dossier des enfants de la rue est la priorité du ministère des Affaires sociales. Un combat sans relâche. Enquête sur la situation.

Khaled (6 ans) rêve de conduire une Mercedes, une moto, ou même de voyager. Tous les jours, il retrouve Moustafa et Abdallah (10 ans) à Kaslik, pour vendre des fleurs aux passants, pendant de longues heures. Khaled n’ose pas envisager un autre « métier », sinon « mon oncle me tuerait », avoue-t-il. Ali, quant à lui, a la mine profondément triste : à 14 ans, il a perdu la spontanéité de ses jeunes camarades. Son affliction est visible, mais il refuse de l’admettre : « Je suis bien comme je suis... Je ne m’imagine pas faire autre chose. » À Furn el-Chebbak, Diar, un Libanais de 9 ans, vend des bonbons, pour soutenir son père qui est concierge. Regards fuyants, réponses brèves et interdiction de les prendre en photo, ces enfants obéissent aux directives de leurs «employeurs ».

 

Enfants victimes

Les enfants de la rue sont libanais ou étrangers. Ils sont parfois sans-papiers. Leurs parents ou les adultes qui les exploitent ignorent les « dégâts » qu’ils imprègnent en eux. En effet, un grand nombre deviennent à l’âge adulte voleurs, trafiquants de drogue, voire criminels. Car la rue est le lieu de tous les dangers. L’enfant peut y subir des agressions, des harcèlements sexuels. De plus, ils exercent un « métier » illégal, et leurs parents doivent être arrêtés pour exploitation de mineurs, comme le prévoient les articles 617-618 du code pénal, qui stipulent la punition sévère de ceux qui font travailler des enfants.

« L’enfant de la rue, qui est dans la mendicité ou qui vend des produits, est une double victime, explique le ministre des Affaires sociales, le Dr Sélim el-Sayegh. Il est une victime sociale, c’est-à-dire de sa famille qui le fait travailler, mais aussi une victime légale, de la non-application de la loi. Leur nombre varie entre 1500 et 3000, selon la « saison». Car quand la loi est appliquée, ces enfants disparaissent. Nous ne pouvons donc pas croire qu’il s’agit d’une mendicité spontanée, mais plutôt de mafias qui agencent le travail des enfants: Ils arrivent à 6h du matin, à l’heure des embouteillages, ils réapparaissent aux heures de pointe et disparaissent la nuit, emportés par des bus qui les attendent à des points de rassemblement ».

 

Le « combat » du ministère des Affaires sociales

Selon le gouvernement et le ministère des Affaires sociales, le problème des enfants de la rue est une priorité à résoudre avant la fin de l’année 2010. Pour lutter contre ce « phénomène », le Conseil supérieur de l’enfance, présidé par le ministre des Affaires sociales, a adopté un plan d’action au niveau national: campagnes de sensibilisation, intervention sociale auprès des familles. Plusieurs projets sont déjà lancés. Au début de l’été, le ministre de la Justice et le Dr el-Sayegh, en accord avec le ministre de l’Intérieur, ont promis de faire en sorte que les juges retiennent le plus longtemps les enfants de la rue dans des foyers en vue de leur entière réhabilitation, et de financer la réhabilitation par le ministère des Affaires sociales.

« En vue d’accueillir au mieux les enfants de la rue, j’ai réservé 300 places dans nos institutions spécialisées, en réservant le budget nécessaire pour l’accueil pendant un an, explique le Dr el-Sayegh. Mais nous n’avons malheureusement observé que 5 enfants de la rue, jugés pour la réhabilitation, et tous les autres ont disparu ! Ce qui veut dire que la question des enfants de la rue est une question mafieuse, organisée, et qui touche à la sécurité ! Il faut que la période de réhabilitation soit d’au moins trois mois, pour que les parents réfléchissent, avant d’envoyer leurs enfants travailler dans les rues. Les parents ne doivent surtout pas rester dans l’impunité. Nous sommes également prêts à agir pour la réinsertion scolaire ».

À l’annonce de ce plan, les enfants ont quasiment disparu en été, et sont réapparus en septembre. Pourquoi ? « Ces filières, responsables du travail des enfants, ont cru profiter de la variété des dossiers qui préoccupent le gouvernement, souligne le ministre des Affaires sociales. Mais nous n’allons pas nous laisser faire. »

 

Et le rôle des jeunes ?

« Soyez de grands bâtisseurs, déclare le Dr Sélim el-Sayegh. Avec beaucoup d’amour et de confiance, vous pourrez reconstruire l’État. Le Liban est une nation dynamique, une toile que vous pouvez compléter avec vos propres couleurs. Dessinez une société qui vous ressemble. Le Liban est un pays possible, même si l’État aujourd’hui paraît impossible. Gardez l’espoir. »

 

Solutions

« Il faut prévenir les sources du problème, précise le Dr Élie Mikhaël, secrétaire général au ministère des Affaires sociales, nous agissons à plusieurs niveaux pour éradiquer le problème des enfants de la rue ».

 

Au niveau social et pédagogique :

– Combattre la pauvreté et prévoir des interventions d’assistantes sociales auprès des familles, à travers des institutions spécialisées qui collaborent avec le ministère.

– Éduquer les parents et leurs enfants aux principes des droits de l’homme, qui sont des droits individuels et ne doivent pas être sacrifiés au profit du droit collectif. Car souvent le travail des mineurs est une expression de solidarité familiale, des enfants envers leurs parents. Or, la famille peut se soutenir autrement qu’en sacrifiant l’un de ses membres.

– Assurer une réhabilitation psycho-sociale et pédagogique des enfants dans des centres d’accueil, en vue de leur réinsertion sociale et scolaire.

 

Au niveau judiciaire :

– Appliquer la loi 686 qui assure aux enfants l’enseignement primaire gratuit.

– Sommer des forces de la sécurité de ne pas vite relâcher les enfants dans la rue, avant que le juge ne prononce une décision.

_ Appliquer la loi 617- 618 qui sanctionne tout parent ou adulte qui fait travailler des enfants.

– Exiger une intervention rigoureuse des forces de la sécurité intérieure pour l’arrestation des « exploiteurs », ou même de ceux qui circulent entre les voitures pour vendre des produits.

 

Stéphanie JABRE

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