Ils étaient nombreux, venus de toutes les régions du Liban pour demander justice pour le village de Janné (que leurs ancêtres ont nommé «paradis»). Les manifestants ne sont pas opposés aux barrages de petite envergure, mais à ce barrage dont l'emplacement, affirment-ils, est mal choisi et les proportions gargantuesques dangereuses.
Un projet hors-la-loi
«Pour la construction d'un terrain de jeux, le gouvernement libanais exige, à juste titre, une étude d'impact environnemental. Pourquoi ne l'exigerait-il pas pour un barrage de cette taille?» interroge Paul Abi Rached, un des membres fondateurs du LEM, le Lebanon Eco Movement, qui rassemble près de cinquante associations luttant pour la sauvegarde d'un Liban vert. «Avec ce barrage, nous allons détruire 5000 ans d'Histoire», lui fait écho Myrna Haber, professeur de biologie et botaniste.
Conçu pour approvisionner Beyrouth en eau, le barrage de Janné est censé mesurer 160 mètres de haut (dont 100 mètres hors sol), et 80 mètres de profondeur, avec un système «barrage-voûte» fragile. Lancés par le ministre Gebran Bassil, puis suspendus par l'actuel ministre de l'Environnement, Mohammad Machnouk, parce qu'aucune étude d'impact environnemental, récente et approfondie, n'a été faite, les travaux illégaux ne sont toujours pas arrêtés, mais encouragés par le ministre des Ressources hydrauliques, M. Nazarian, épaulé par le géologue Bahzad Hakim. «Nous réclamons une étude d'impact environnemental, ce qui est tout ce qu'il y a de plus légal et légitime», insiste Paul Abi Rached.
Polémiques
«Le type de sol de Janné est poreux et friable, donc sujet à des fuites via les failles géologiques», explique Jeanine Somma, enseignante en géographie à l'USJ.
«Aucune étude géologique approfondie n'étant faite, on craint notamment que des infiltrations d'eau ne causent des dommages jusque dans la grotte de Jeita. En cas de doutes, pourquoi prendre des risques?» s'insurge Jeanine Somma.
Le terrain est aussi sujet aux tremblements de terre. «Des blocs de béton du barrage pourraient être arrachés par la force de l'eau et s'écraser sur les villages, comme pour le barrage de Malpassé, en France», précise Franck, membre de l'association Terre Liban.
Par ailleurs, le ministre Nazarian n'a consulté aucune autorité locale ni envisagé de solution pour parer aux dommages que causera le barrage aux centaines de familles des villages environnants dont les lopins de terre seraient condamnés; une sécheresse qui favorisera aussi les incendies dans cette région particulièrement boisée.
«Ce barrage va tuer la biodiversité qui assure l'équilibre de la faune et de la flore locales», déplore Fadi Daw, ingénieur agronome et producteur des délices biologiques de la société «Adonis Valley» à Fatré, un village qui sera privé d'eau. «Quant à nos produits, poursuit-il, ce sera une diminution de miel, de câpres et de thym.»
«Nous ne défendons pas un arbre, assure le Père Hani Tawk, venu de Bcharré: nous défendons notre histoire, notre foi et notre patrimoine.»
Les solutions du LEM
«Il existe des solutions moins coûteuses, plus efficaces et sans danger pour les habitants et l'environnement», détaille Aline Tawk, représentante du Comité de sauvegarde de l'environnement de Bécharré:
• Restaurer les canalisations d'eau au niveau national pour arrêter les fuites: un gain de 50% d'eau;
• Créer des stations d'épuration, et multiplier réservoirs d'eau individuels et bassins artificiels collectifs en contrebas des collines;
• Poursuivre les plantations d'arbres et les terrassements de montagnes: la neige retenue fond lentement et s'infiltre jusqu'aux nappes phréatiques au lieu de se déverser toute entière dans la mer;
• Réhabiliter les systèmes d'irrigation des montagnes, qui permettaient aux agriculteurs d'ouvrir à tour de rôle les portes des rigoles qui arrosaient leurs terrasses.