Un sentier pédestre peu connu des pèlerins relie l'ermitage au couvent de Annaya, le seul, autrefois, qui assurait la liaison. C'est cette même voie étroite et sinueuse, bordée de rochers et de chênes sauvages aux petites feuilles piquantes comme du houx, que Saint Charbel arpentait en priant lorsqu'il se rendait chez ses frères moines. C'est aussi sur cette sente aride aux arômes de terre humide envolés des sous-bois voisins que de rares petites iris sauvages choisissent d'y déployer leurs larges pétales : on oublie les buissons secs et la terre rocailleuse, et l'on n'a d'yeux que pour l'éclat de la perle rare.
Entre roches et bosquets
Sur la petite piste broussailleuse parsemée de monnaie du pape et de champignons de souches, l'on croise une minuscule chapelle de pierre, au plafond bas et aux murs mal équarris, faisant face à l'ermitage, sur la colline voisine. Le saint ermite s'y recueillait, marquant une pause au milieu de sa course. C'est aussi là que les habitants du village viennent aujourd'hui, à l'abri des regards, déposer leurs suppliques ou faire leur action de grâce, accompagnés d'une rose ou d'une bougie.
Vie toute offerte
Sa messe célébrée chaque matin, le Père Charbel travaille dans les champs et les terrasses, à 1000m d'altitude, ignorant vents et pluie, et toujours dans ce silence qui lui permet de préserver son intimité avec le Christ auquel il s'est consacré.
Un crucifix et une paillasse de crin à même le sol forment l'ensemble des éléments de son étroite chambre, même s'il passe le plus clair de sa nuit à prier, à genoux sur un tapis de roseaux, devant l'Eucharistie. Un feu à même le sol chauffe la petite cuisine qui jouxte sa chambre et en noircit les murs.
Le 16 décembre 1898, le Père Charbel, atteint d'hémiplégie, offre son supplice au Seigneur jusqu'au 24 décembre où son âme s'échappe vers Celui qui a été, 70 ans durant, son unique Amour.
Aujourd'hui, ce sont des roses et du romarin en fleurs qui illuminent les lieux, même au cœur de l'hiver.
Vie toute simple, âme de héros
C'est au cœur d'une famille paysanne pieuse, dont deux oncles sont ermites, que Youssef Makhlouf naquit le 8 mai 1828. Orphelin de père à l'âge de 3 ans, il fait paître le troupeau familial chaque jour en sortant de l'école du village où il étudie l'arabe et le syriaque. En menant ses moutons, Youssef déniche, dans la rude nature de Beqaa Kafra, une grotte où il aime parler à son Créateur dans le silence: il en fait son premier ermitage. À l'âge de 23 ans, Youssef passe sa première année de noviciat au couvent maronite Notre-Dame de Mayfouq, y changeant son nom contre celui d'un martyr de l'Église d'Antioche du IIe siècle: Charbel. Âgé seulement de 25 ans, il devient moine, s'engageant pour la vie à l'obéissance, la chasteté et la pauvreté. Il étudie ensuite la théologie de la bouche même de Saint Naamatallah al-Hardini et est ordonné prêtre. Le Père Charbel vit alors seize ans au couvent Saint Maron de Annaya puis obtient la rare permission de se retirer à l'ermitage où il reste 23 ans, jusqu'à sa mort.
Témoins du rayonnement de son amour
Sa vie cachée, toute faite de persévérance, lui valut de passer d'une vocation d'ermite à celle de protecteur d'un pays. Un amour passionné et inconditionnel qui fait rejaillir en cascade une infinité de grâces sur des milliers de personnes: des courriers de gratitude envoyés du monde entier (comme autrefois des plaques commémoratives de cuivre représentant un organe guéri) déferlent chaque année pour témoigner, toutes religions confondues, d'une guérison ou d'une conversion.
La ferveur populaire et les innombrables miracles du grand ermite de par le monde se sont chargés de faire du Bienheureux Charbel, déclaré saint le 9 octobre 1977, le symbole de l'âme du peuple libanais et le trait d'union entre chacun de ses membres, au cœur d'une mosaïque multiculturelle et pluriconfessionnelle. Saint Charbel est fêté avec ferveur le 20 juillet.