Après la fermeture du Bois des Pins et le projet de privatisation de Ramlet el-Baïda, unique plage publique de Beyrouth, le gouvernement libanais poursuit sa confiscation méthodique des seuls espaces verts qui subsistent en ville, en fermant les yeux sur l'invasion du site de Dalieh.
Une politique de l'autruche au regard des atouts historiques, archéologiques, écologiques et sociaux qui pourraient bien faire de Dalieh, un jour, un site intouchable sur la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco.
Richesses uniques
Atelier de taille de silex pendant la Préhistoire, le promontoire abrite aujourd'hui encore piscines naturelles et faune marine exceptionnelle dont tortues de mer et phoques que les pêcheurs aperçoivent, encore que très rarement.
Lieu privilégié de rencontres communautaires, Dalieh s'est obstiné, jusqu'en mars dernier, à vivre en musique autour de feux de joie, avec la communauté kurde, le Norouz, sa fête folklorique du printemps.
Doué du triple atout d'espace public, sauvage et citadin à la fois, Dalieh offrait aux promeneurs le plaisir simple du pique-nique dominical devenu au fil du temps rituel quasi sacré.
Polémique autour du site
Il ne reste aujourd'hui que l'atelier artisanal de barques adossé au restaurant bleu où les derniers pêcheurs passent boire un verre, la maisonnette à arcades nichée entre port et rochers, et quelques baigneurs nostalgiques qui cohabitent avec la clôture agressive de barbelés, illégale, et les monumentaux parpaings censés former la nouvelle digue.
Un projet, pensé par la famille Hariri et dont la nature reste à ce jour inconnue, serait en train de naître, sans permis de construire encore, colportent les rumeurs.
Ils n'ont pas dit leur dernier mot
Les pêcheurs délogés poursuivent leur procès à l'encontre des sociétés qui ont racheté pour une bouchée de pain les parcelles des familles beyrouthines, propriétaires de Dalieh depuis l'époque ottomane. À leurs côtés, un collectif d'ONG, paysagistes, architectes et ingénieurs s'insurge; parmi eux, Sarah-Lily, jeune urbaniste de Beyrouth, nous présente un Dalieh où elle se baladait petite.
Des bannières différentes, mais la même revendication: préserver richesses et vocation publique de cet ultime vestige de littoral sauvage quand tout le reste de la zone 10, du Bain militaire à Ramlet el-Baïda, interdite à la construction, a été accaparé, voire saccagé, privant les Beyrouthins de leurs derniers «Saint-Balech».
«Par ailleurs, propose Sarah-Lily au nom de ses confrères, un aménagement sobre et adapté pourrait mettre en valeur l'espace sans le dénaturer, et offrir aux jeunes le luxe d'un espace vert au cœur de la ville: entretien des lieux, intégration d'un escalier et organisation d'escapades pédagogiques sur le thème de la mer».
Tout est permis, pourvu qu'amoureux du large et amoureux tout court se sentent, à Dalieh, à nouveau chez eux.
À savoir
On raconte que, sur la pointe de Dalieh, les Phéniciens élevaient des pigeons-voyageurs, les chargeant de messages pour les autres villes. D'où, probablement, l'appellation de «Grotte aux Pigeons» dont hérita Raouché.