Les mois pluvieux, la famille loue une pièce rudimentaire à Yahchouch, dans les hauteurs de Nahr Ibrahim. Le reste du temps, elle s'installe au bord du fleuve: un milieu idéal pour les bambins qui barbotent, pêchent, profitent d'une balançoire artisanale et se baladent dans un paradis à longueur de journée.
Pour Salwa, jeune femme de quarante ans, un quotidien idyllique et pénible à la fois, incroyable en tout cas. «Nous sommes heureux, et le cadre de la nature est évidemment beau, mais cela reste une vie dure», souligne-t-elle sans pourtant se plaindre.
Profession : épouse de bûcheron
Ahmad exploite tout au long de l'année une parcelle privée de la forêt de Chouwen: il plante des arbres et en abat d'autres qu'il débite en bûches et transforme en charbon. Des fruits de son travail, il reverse 25% à son patron, laissant le maigre reste pour nourrir les siens, et payer médecin et école pendant l'hiver.
Quant à Salwa, elle gère l'intendance, prend soin des enfants et met la main au charbon.
Une bonne moitié de l'année, le jeune couple vit au rythme bohême mais soutenu du camping: Ahmad, à la force herculéenne, transporte à même son épaule d'énormes sacs de bûches, tandis que Salwa cuisine chaque jour au feu de bois. Un menu sain et frugal: soupe de lentilles ou poissons grillés que toute la petite famille a pêchés le matin même dans les eaux vert-turquoise qui ondulent au pied du campement. La lessive, Salwa la fait aussi dans le cours d'eau, de même qu'elle y puise l'eau du thé et du café. Le bain, c'est encore à la rivière... et les sorties piscine aussi!
Un loft immense mais inconfortable
Comme aux premiers temps de l'histoire de l'Homme, l'essentiel se partage autour du feu: c'est là que, dans un décor des plus sobres, on trouve, à même le sol, pitance, lumière, chauffage, mais aussi convivialité. La salle à manger, c'est donc autour du foyer, et le salon en contrebas, à deux doigts du fleuve, pour y recevoir les convives − souvent des campeurs voisins − loin de la poussière de charbon qui noircit des pieds à la tête la marmaille réjouie.
À la belle étoile
On n'a jamais vu chambrée plus dépouillée: quatre matelas de mousse acrylique, entassés dans les taillis, sont déployés sur la cendre froide qui s'envole au moindre pas avant de vous prendre les poumons. Mais c'est le seul endroit plat dans ce milieu rocheux et boisé.
Dépouillement qui impressionne mais qui semble être le prix à payer pour vivre une nuit unique sous la voûte étoilée. Une vie de renoncement et d'extrême simplicité qui n'est pas à la portée de qui veut. À quelques kilomètres du tumulte de la ville, et avec un sourire qui force le respect, Salwa mène, à l'abri des regards, son humble destinée.